Être actrice était son rêve de petite fille. Un rêve qu'elle a failli abandonner parce qu'elle est née dans un corps de garçon. Aujourd'hui, son premier rôle au cinéma dans Ceux qui font les révolutions à moitié n'ont fait que se creuser un tombeau lui vaut une nomination aux prix Écrans canadiens. Une révolution pour Gabrielle Tremblay, dans tous les sens du terme.

Nous l'avons rencontrée mardi pour parler du film-événement de Mathieu Denis et Simon Lavoie sur les lendemains désenchantés du printemps érable, qui prendra l'affiche au début de février. Et le jour même, Gabrielle Tremblay a appris avec stupéfaction sa sélection dans la catégorie de la meilleure actrice dans un rôle de soutien aux prix Écrans canadiens. Une première pour une femme trans.

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«Est-ce que je suis en train de rêver?, demande-t-elle, visiblement très émue.«C'est déstabilisant, quelque part, je pense que je ne le réalise pas encore. C'est comme une revanche sur le passé, quand j'étais garçon.»

Ce film, c'est une naissance pour Gabrielle Tremblay. Les astres étaient alignés. Elle qui rêvait d'être actrice, qui imitait le jeu des comédiennes quand elle était enfant, avait déjà été admise dans une école de cinéma, mais avait dû abandonner au bout d'une semaine parce qu'elle n'acceptait pas de se voir en garçon à l'écran.

C'est à 21 ans qu'elle a commencé sa transition, avec tous les sacrifices que cela exige. Entre autres, la perte de celui qu'elle considérait comme le grand amour de sa vie. Elle a auditionné pour le rôle de Klas Batalo deux mois après sa rupture.

«Je sentais que je n'avais plus rien à perdre, dit l'interprète de 26 ans. Mon personnage m'a permis de laisser tomber des barrières, pour être dans la lumière, pour m'assumer.»

«La plus grande incompréhension que les gens ont envers les trans, c'est de penser qu'on choisit d'être une femme ou un homme. Non, on choisit de vivre. Je me suis dit que j'avais le droit d'exister.»

Mathieu Denis et Simon Lavoie recherchaient une femme trans non opérée pour jouer Klas Batalo. Et pour la première fois, Gabrielle Tremblay a pu s'abandonner totalement face à la caméra, puisqu'on lui demandait d'être ce qu'elle était.

«Je me suis sentie utile»

Son apparition dans ce film de trois heures, d'une puissance inouïe, est même le premier point de bascule qui nous fait comprendre qu'on n'est pas face à une oeuvre ordinaire. Nue, presque en transe, elle danse en récitant un poème des Filles-commandos bandées de Josée Yvon pendant que derrière, Giutizia (Charlotte Aubin) peint rageusement une toile. Cela tient du happening artistique, dont le dévoilement de son sexe masculin renforce la poésie.

C'est d'ailleurs la première scène que Gabrielle tournait de sa vie. «Être nue, danser, réciter le poème, ce sont tous des défis qui m'ont permis de gagner de la confiance pendant le tournage. On a besoin de diversité corporelle au cinéma et ce film démocratise les corps.»

«Ce personnage a été thérapeutique. J'ai l'impression que j'ai donné une couleur à ce personnage et qu'il a déteint sur moi.»

Surtout, elle avait l'impression que sa réalité de femme trans avait un sens dans une oeuvre qui la dépassait.

«Je me suis sentie utile. Je sentais que ma condition pouvait amener de la lumière. La vie n'est facile pour personne, mais je pense que nous, les trans, hommes ou femmes, on part avec moins dix... Tu veux être acceptée par la société, mais il faut que tu t'acceptes aussi. Mathieu et Simon auraient tellement pu profiter d'une mode, que ce soit joué par un cisgenre [une personne dont le genre correspond à son sexe à la naissance], mais là, c'est authentique, c'est de l'audace.»

Le fait d'aller au bout d'elle-même dans un film qui demandait un don absolu de soi a été une «révolution interne» pour elle. Et d'être en lice aux côtés, notamment, de Nathalie Baye (pour son rôle dans Juste la fin du monde de Xavier Dolan) l'émeut à un point tel qu'elle a retenu ses larmes plusieurs fois pendant notre conversation.

«Les gens vont me connaître comme je suis pour vrai. Oui, c'est un personnage, mais le médium, c'est moi. C'est comme si la vie me disait: "Tu es à la bonne place." Depuis que je suis moi, je réalise tout ce que j'ai toujours rêvé de faire, et je peux apporter quelque chose à la société.»

«Je vais toujours considérer cette expérience-là comme le plus beau cadeau que j'ai pu me faire, poursuit-elle. Je suis née au cinéma de façon mémorable, je pense.»

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Le film Ceux qui font les révolutions à moitié n'ont fait que se creuser un tombeau prendra l'affiche le 3 février.