François Avard et Jean-François Mercier ont repris du service à l'écriture du scénario de Votez Bougon après avoir pondu les épisodes de la célèbre série télévisée. Leur vieux complice Louis Morissette, avec qui ils travaillent depuis Les Mecs comiques, s'est joint à eux.

Avec tout ce qui se passe actuellement dans l'actualité, avez-vous l'impression d'avoir été visionnaires?

Louis Morissette: Quand Donald Trump a été élu et que je l'ai vu monter sur la scène pour prononcer son discours, j'ai vraiment eu l'impression que Papa Bougon arrivait au pouvoir! En fait, on commençait à craindre que le film devienne obsolète avant même qu'il prenne l'affiche. Je crois qu'il ne peut pas mieux tomber.

Pourquoi a-t-il fallu 10 ans avant que ce projet d'adaptation cinématographique se concrétise enfin?

François Avard: On a commencé à penser à ce film en 2006. Mais la frustration et l'amertume que Jean-François et moi avons ressenties à cause de l'aventure française ont ralenti les affaires. Jean-François a alors commencé sa carrière de stand-up, il a été distrait par un paquet de réussites, même chose de mon côté, bref, le projet est tombé un peu entre deux chaises. C'est Louis qui a ramené l'idée. À vrai dire, c'est grâce à Louis que la série s'est faite, et c'est encore grâce à lui que le film a été fait. Tout est de sa faute.

L.M.: Pendant un lunch, j'ai demandé à Jean-François pourquoi il n'écrivait pratiquement plus et il m'a répondu qu'il y avait trop de contraintes, que les projets étaient souvent refusés. Je lui ai fait valoir que François et lui avaient déjà un excellent projet en main, que les institutions voudraient probablement financer, dans lequel les acteurs voudraient probablement jouer, et que les gens voudraient probablement voir. Ça s'appelait Les Bougon, le film. Comme François et Jean-François avaient l'impression que je m'enthousiasmais avec le projet plus qu'eux, ils m'ont demandé d'embarquer.

Jean-François Mercier: Coudonc, as-tu pris des notes de tout ce que j'ai dit pendant ce lunch-là?

Avez-vous le sentiment que le film est encore plus trash que la série?

J.-F.M.: Non, pas du tout. Ce sont les mentalités qui sont maintenant plus exacerbées.

F.A.: Il y a aussi le fait que les gens qui verront le film sont des gens qui feront le choix d'aller au cinéma. Ça le «détrashe» en quelque sorte. En fait, ce qu'on a envoyé à l'époque de la série dans les téléviseurs des gens via une société d'État, je trouve qu'il y a là quelque chose de beaucoup plus subversif!

L.M.: Comme la plupart des gens ont déjà vu la série, ceux qui voudront venir au cinéma le feront en toute connaissance de cause. On a tendance à oublier à quel point la série était trash.

Qu'est-ce qui a changé depuis 10 ans en termes d'humour? La société est-elle devenue plus frileuse? Plus susceptible?

J.-F.M.: On se fait couper plus d'affaires!

L.M.: J'ai l'impression que, comme tout le monde dispose maintenant d'une tribune, des polémiques souvent inutiles sont créées à partir de cinq commentaires sur les réseaux sociaux. Deux personnes s'obstinent sur Twitter et c'est ensuite récupéré par les autres médias qui montent ça en épingle. Il y a 10 ans, les gens devaient envoyer un courriel, faire un appel téléphonique ou même écrire une lettre. Maintenant, tout est facile et instantané.

F.A.: Cela dit, on n'a pas été à l'abri de controverses non plus à l'époque. Les épisodes du chat, du furet et quelques autres ont beaucoup fait parler.

J.-F.M.: D'ailleurs, le scandale n'est jamais arrivé là où on l'attendait. Jamais. On a fait des affaires très heavy qui sont passées comme du beurre dans la poêle. Je me souviens de petits musiciens qui jouaient du violon sur des foetus morts parce que Mononcle avait dit à Dolorès, qui allait se faire avorter, qu'elle était peut-être enceinte d'un petit Mozart. On n'en a jamais entendu parler. Mais le chat, le furet, oui...

Appréhendez-vous un scandale cette fois-ci?

F.A.: On aimerait beaucoup ça!

Comment fonctionnait la dynamique d'écriture entre vous trois?

J.-F.M.: Moi, je m'occupais d'être découragé, d'être de mauvaise foi, de dire que c't'ostie de marde-là marchera jamais, que je m'en vais et que je ne veux plus rien savoir. Ça, ç'a été ma job.

F.A.: Jean-François se cite très bien, je trouve... Il faut dire que quand on a commencé, en 2006, Louis était un paratonnerre à marde. On avait l'impression qu'il attirait vers lui tous les malheurs, toutes les insultes. Tu pouvais te planter derrière lui sans rien attraper parce qu'il recevait tout. Depuis, c'est monsieur succès, monsieur réussite. Alors là, on se colle à lui!

L.M.: Pour répondre plus sérieusement, la dynamique n'a pas été difficile à établir parce qu'on travaille ensemble depuis une vingtaine d'années. On s'est rencontrés à l'école de l'humour et on s'est toujours suivis. Moi, j'étais plus à leur service en amenant des idées. On savait que quand Jean-François était au fond, il allait sortir ses meilleures répliques.

J.-F.M.: C'est vrai que ça va mieux quand je suis en tabarnak!

Dans le travail d'écriture, quel a été l'élément le plus difficile?

L.M.: Ç'a été de conjuguer le rythme des gags qu'il y avait à la télé avec la vision d'un cinéaste qui, à juste titre, veut que le film raconte quelque chose. Chemin faisant, pour le bien de l'histoire, on a dû sacrifier plusieurs bons gags parce qu'ils faisaient trop «émission de télé». Ils venaient alourdir le récit. C'est certain que quand tu es un auteur qui travaille dans l'humour, ça fait parfois grincer des dents.

F.A.: On a même réécrit des parties du scénario pendant le tournage, notamment à cause du malaise cardiaque d'Antoine Bertrand, mais aussi après, avec les bandes passantes pendant les bulletins de nouvelles.

L.M.: Mais il y a au moins 80 % du scénario qui est le même depuis quatre ans.

Pourquoi un film de cinéma avec les Bougon alors que la télé atteint beaucoup plus de monde?

L.M.: Dans un monde de plus en plus aseptisé, c'est un véhicule dans lequel, personnellement, je peux vomir toutes mes frustrations, toute mon écoeurantite aiguë. Je ne pourrais jamais faire ça sur scène ou ailleurs. Pas de cette façon-là.

J.-F.M.: Il y a aussi la question de la pérennité. Un film vit beaucoup plus longtemps. Dans la tête des gens, le cinéma a plus de valeur que la télévision.