Marc Séguin peint intensément depuis 20 ans et a publié trois romans. Depuis deux ans, il est aussi devenu cinéaste en écrivant, produisant et réalisant son premier long métrage de fiction, Stealing Alice, et un documentaire sur l'agriculture qui l'a mené partout sur la planète.

Dans ses toiles comme dans La foi du braconnier, Hollywood et Nord Alice (tous publiés chez Leméac), Séguin évoque les créatures sauvages, humaines ou à fourrure, et les personnages propulsés par d'intenses désirs et une rage inextinguible.

«Comme spectateur, j'ai besoin qu'on me remette en question, qu'on me secoue. C'est ce que j'attends d'une oeuvre, alors inconsciemment, c'est ce que je fais avec mon travail.»

Il plonge avec autant de délices dans Kamouraska d'Anne Hébert que dans les toiles de Francis Bacon, admire leur mélange de violence et de beauté.

Stealing Alice raconte l'histoire d'une jeune femme, jouée par Fanny Mallette, portée par une grande rage sociale, qui vole des tableaux de grands maîtres pour les redonner à ceux qui les apprécient réellement, et non pour les objets de luxe qu'ils sont devenus.

«Elle est à moitié inuite, donc ça lui permet d'affirmer des choses sur ce que l'Amérique est devenue», souligne Séguin. Par le truchement des deux soeurs d'Alice, jouées par Elisapie Isaac et Joëlle Paré-Beaulieu, et de leur mère, il aborde la déportation, la religion imposée et la société de consommation. Denys Arcand incarne le père. Le tout se déroule en anglais, français, italien et inuktitut. 

«On est allés tourner au Vatican, à New York, dans le Grand Nord. Quand les acteurs et l'équipe technique étaient libres, on se faisait un Doodle agenda, puis on partait et on tournait», indique Séguin, qui a notamment pu compter sur la directrice photo Claudine Sauvé (19-2, Minuit, le soir) pour magnifier ses images.

Il a écrit le scénario au fur et à mesure du tournage et a tourné comme il peint des tableaux. «Le cinéma est un art visuel, on y trouve les mêmes subtilités qu'en peinture, mais c'est un art collectif et c'est un art lent. Entre nous, la personne la moins qualifiée sur le plateau, c'était moi, note-t-il. Ils ont aimé la manière dont on a travaillé, pour la beauté de l'art. J'ai demandé, ils m'ont fait confiance, j'ai pris des risques, mais je suis chanceux dans la vie.»

Le film n'a pas reçu de subventions et sera diffusé au gré des ententes que Marc Séguin établira avec des festivals ou des salles de cinéma. «Il va sortir en octobre, je ne peux juste pas dire le nom du festival encore», glisse-t-il. Vu le mois évoqué, on peut miser sur le Festival du nouveau cinéma, à Montréal... mais les cinéphiles ont aussi rendez-vous à Saint-Séverin, à Val-d'Or, à Rouyn-Noranda et à Moncton à cette période.

«Après la première, ça me tente de le mettre à l'affiche 14 jours dans trois ou quatre cinémas à Montréal, puis faire quelques soirées à Sherbrooke, à Québec. En faire un événement pour lequel les gens se déplacent, comme une pièce de théâtre.»

L'expérience de tournage lui a donné envie de se lancer dans la réalisation d'un documentaire sur l'alimentation et l'agriculture, avec une équipe réduite. «On s'est promenés en Virginie, au Danemark. On voit les révolutions qui sont en train de se faire en Suède, alors qu'ici, on met des freins, il y a beaucoup d'aberrations administratives, alors qu'on a un super climat et la possibilité de s'autosuffire en agroalimentation», plaide Séguin, qui revenait tout juste de Scandinavie à la fin de juillet.

L'artiste élève des animaux, cultive un potager et exploite une cabane à sucre pour nourrir sa famille, qui compte quatre enfants. Quatre assistantes assidues s'occupent de l'administration et des comptes, ce qui lui permet de prendre du temps pour peindre dans son atelier de New York, où il est représenté par la Mike Weiss Gallery.

«Je n'ai jamais autant peint que ces deux dernières années», dit-il. Il a deux séries prêtes à être exposées à New York au printemps et possiblement à Montréal, à l'automne 2017. Une avec des animaux qui interagissent avec des humains, «plus ludique, même s'il y a encore des côtés inquiétants», note-t-il, l'autre qui rassemble de grands tableaux de paysages nordiques enneigés. «On croirait d'abord qu'ils sont juste blancs, mais il y a jusqu'à une quarantaine de teintes. Vraiment un beau trip de peintre», décrit-il.

Quand tout le monde dort - ce dont manifestement Marc Séguin n'a pas besoin -, il termine d'écrire son quatrième roman, Jenny Sauro, qui se déroule dans un petit village québécois, de nos jours, «autour d'une femme qui ne l'a pas eu facile». Une série de poèmes qu'il a écrits à l'aube de l'âge adulte doit aussi être publiée cette année aux Éditions du Noroît.