Le coeur régulier n'est que le deuxième long métrage de fiction de la Belge Vanja D'Alcantara, qui y montre déjà un grand savoir-faire. Cette coproduction franco-canado-belge, avec Isabelle Carré et Niels Schneider, est un film de peu de mots qui parle pourtant beaucoup. Entrevue avec une cinéaste à suivre.

Q: Vous avez réalisé un vrai film de cinéma où les images parlent. Le roman d'Olivier Adam ne compte pas beaucoup de dialogues non plus. C'était une rencontre parfaite?

R: J'avais déjà le désir du Japon, comme si mon langage cinématographique se retrouvait dans la culture japonaise. Le rapport à la beauté, au silence et au geste. J'ai découvert ensuite le personnage de ce sauveur des falaises qui empêche les gens de se suicider, un vrai personnage de cinéma, en fait. Puis, le roman qui s'était inspiré du même personnage. Il parle d'une Occidentale qui fait là-bas une quête initiatique à la recherche du passé de son frère. Tout convergeait.

Q: Vous êtes une femme de l'image, donc, vous croyez toujours au cinéma?

R: Oui, je crois en la force de l'image dans ce qu'elle a de plus pur. On peut dire tellement de choses avec une image simple, avec juste laisser être ce qui est dans le visage d'un acteur ou la beauté d'un paysage. Sachant que le silence n'existe pas au cinéma, j'y crois aussi très fort. Il faut le créer à partir de matières naturelles, de textures organiques. Cet ensemble entre l'image, le son et la musique peut inviter le spectateur à entrer dans un univers. Une fois qu'il y est, on lui laisse vivre les choses. Je lui fais confiance.

Q: Vous ne cherchez pas à le prendre par la main...

R: Il fait son propre chemin. En même temps, je sais qu'il y a un risque à le faire. Ce n'est pas le cinéma à la mode. Peu bavard, un peu décalé. Je garde l'espoir qu'il y a des gens toujours touchés par ça. 

Q: Le salut du cinéma se trouverait-il dans cette façon de laisser parler les images?

R: Il faut continuer à faire le type de cinéma auquel on croit et rester personnel. Si je ne suis pas fidèle à ma sensibilité, je ne pourrai pas faire passer sincèrement ce que je veux faire passer. Ça me donne confiance de voir qu'il y a un public prêt à le recevoir. Ce n'est pas un film qui parle de révolution, mais d'évolution. La révolution, elle se crie, l'évolution, elle se chuchote. Si ça permet d'évoquer une quête, tant mieux. Et si ça amène juste un moment d'apaisement dans ce monde mouvementé et perturbant, ma mission est accomplie.

Q: Ce n'est pas un film «social» comme tel. On parle du problème du suicide, mais le traitement est plutôt poétique.

R: L'idée était d'aborder cette question de la mort et du deuil, mais en parlant de la vie, du désir de vivre, d'une renaissance. Qu'est-ce qu'on fait face au vide? C'est métaphorique, mais la vie nous mène tous à un moment où l'on ne peut plus faire face parce qu'on ne sait plus, simplement, inspirer et expirer. On a perdu ça. On est parasité par la pensée, la rapidité. 

Q: C'est la clé du film, cette idée de la respiration?

R: Oui, mais on a eu beaucoup de mal avec Isabelle Carré. Dans la logique de son personnage, ne pas trouver de sens aux choses, c'est une source d'angoisse. Or, ce que je dis, moi, c'est que dans certaines situations de la vie, vouloir trouver du sens peut nous rendre fous. Certaines situations n'ont pas de sens. La réalité est comme elle est. La vie est faite de disparitions, de catastrophes, de choses inacceptables. Nous, on croit que c'est injuste et on en souffre. 

Q: C'est tiré de la philosophie bouddhiste? 

R: Oui, mais très shintoïste aussi. Dans le film, on a aussi le rapport à la nature. Toute cette promenade qu'elle fait dans ce temple où l'on sent vraiment l'âme des choses. C'est la force du Japon. C'est au-delà du religieux, cela fait partie de la culture japonaise. 

Q: Il y a tous ces personnages secondaires de gens qui ont essayé de mettre fin à leurs jours. 

R: C'est un lieu un peu étrange où se côtoient la vie et la mort. Le fait qu'elles se côtoient donne un nouveau rapport à l'existence. Aucun d'eux n'est «normal». Ça donne une dimension qui n'est pas tout à fait réaliste au film, je crois. Il y a quelque chose de magique et d'un peu perturbant dans ce climat.

Q: Et la femme triste finit par retrouver le chemin de la vie en rencontrant un jeune Japonais. 

R: C'est le rapport à la sensualité et au corps. Au début, c'est une femme complètement fermée, déconnectée d'elle-même. Elle a arrêté de vivre, mais elle va se rouvrir. Elle retrouve la liberté.

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Le coeur régulier prend l'affiche le 22 avril.