Vingt-cinq ans après La discrète, qui a fait de lui une vraie vedette de cinéma, Fabrice Luchini retrouve Christian Vincent. Le réalisateur a eu la surprise de redécouvrir un acteur ayant gagné en sagesse.

Quand il se présente dans la pièce où une dizaine de journalistes l'attendent, Fabrice Luchini ne peut s'empêcher de se placer en mode représentation. En résulte un exercice fort drôle et divertissant, lequel relève toutefois davantage de la «déconnade» que du véritable échange.

Christian Vincent, réalisateur de L'hermine, reconnaît bien là l'acteur qu'il connaît depuis plus de 30 ans, mais qu'il avait perdu de vue. En plus de faire de Fabrice Luchini une vraie vedette du grand écran, La discrète, son premier long métrage, avait aussi établi la réputation du cinéaste. Il aura cependant fallu 25 ans avant que les deux hommes se retrouvent.

«Six ou sept ans après La discrète, j'avais offert à Fabrice le rôle principal de Je ne vois pas ce qu'on me trouve, explique-t-il au cours d'un entretien accordé à La Presse. Il avait refusé ma proposition parce qu'il estimait que le personnage était trop près de lui. J'avoue en avoir été un peu vexé. J'aurais dû insister; je ne l'ai pas fait. Je m'en suis voulu. Car avec Fabrice, il faut toujours insister!»

Un personnage austère

Passionné de l'oeuvre de Georges Simenon, le cinéaste a eu l'idée d'écrire L'hermine en s'inspirant de l'univers du célèbre auteur, tout en le dépoussiérant. À la Mostra de Venise, ce film lui a d'ailleurs valu le prix du meilleur scénario. Un prix d'interprétation a aussi été attribué à Fabrice Luchini. Ce dernier incarne Michel Racine, un président de cour d'assises réputé pour prononcer de lourdes peines quand il y a condamnation. Tout bascule le jour où une femme qu'il a déjà aimée se retrouve à siéger au jury appelé à juger un homme accusé d'homicide.

«En France, ce cas de figure est possible, car seuls l'avocat de la défense et le procureur général ont le pouvoir de récuser un juré, précise le cinéaste. Il y avait en tous les cas quelque chose d'intéressant à explorer autour de ce personnage, habituellement très austère dans la vie. Fabrice peut jouer cela très bien, sans jamais perdre la sympathie du spectateur.»

Les retrouvailles entre les deux hommes se sont bien déroulées. Christian Vincent estime en outre que Luchini a gagné en sagesse et en «épaisseur».

«Il a aussi gagné en sérénité, dit-il. Physiquement, Fabrice est devenu plus charmant aussi, moins asexué. Il plaît davantage qu'il y a 20 ou 30 ans. Alors qu'il a franchi la soixantaine, on peut maintenant lui prêter des histoires sentimentales. Auparavant, c'était beaucoup plus difficile.»

Se réalisant davantage au théâtre, Fabrice Luchini fait aussi partie de ces acteurs pour qui le cinéma n'est jamais une question de vie ou de mort. Il tourne un film par an. Pas plus.

«Tout reste très simple avec lui, car il n'a aucune frustration, aucun désir de réalisation, fait remarquer le cinéaste. Dans le travail, Fabrice est aussi d'une très grande humilité. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, il ne joue pas à la diva du tout. Bien sûr, il prend beaucoup de place sur un plateau. Entre les prises, il déconne en racontant des blagues salaces, ce qui peut parfois être lourd, mais dès que ça roule, il est extrêmement respectueux.»

De son côté, Fabrice Luchini estime que le rôle de l'acteur est de se mettre entièrement au service de la vision du cinéaste, seul maître à bord à ses yeux.

«Au théâtre, je suis le patron de la représentation, dit-il. Au cinéma, l'acteur est un employé et ne doit pas avoir de vanité. Mais nous en sommes bourrés. Il ne faut pas. Parce que nous allons mourir et que notre temps est très court. Mais nous sommes très cons. Alors nous sommes avides, nous sommes remplis de péchés et de désirs. Alors, prions ensemble.»

Plus sérieusement, Fabrice Luchini n'a pas caché sa reconnaissance envers un cinéaste qui lui a offert deux des rôles les plus marquants de sa carrière au cinéma.

«J'avais déjà tourné dans l'un de ses courts métrages, il y a très longtemps, rappelle-t-il. Ensuite, La discrète a changé ma vie. Chaque fois que j'ai tourné avec Christian, ma vie a changé et je ne saurais vous dire pourquoi. Notre lien a toujours été heureux.»

La star de Borgen

La femme que retrouve le président Racine dans L'hermine est incarnée par l'actrice danoise Sidse Babett Knudsen. La performance de cette dernière, vedette de la série télévisée Borgen, a d'ailleurs été auréolée récemment du César de la meilleure actrice de soutien. La présence de la comédienne dans le film est due à un heureux hasard.

«Je souhaitais trouver une actrice d'environ 45 ans, explique Christian Vincent. Or, à peu près toutes les actrices françaises de cet âge ont déjà joué avec Fabrice. Étant très fan de la série Borgen, je rêvais de Sidse pour le personnage, mais j'étais persuadé qu'elle ne parlait pas un mot de français.»

Le cinéaste a quand même eu la curiosité de faire une recherche sur le Net. Il est tombé sur une interview que l'actrice avait accordée à la chaîne Arte... en français!

«Je suis tout de suite allé à Copenhague la rencontrer, poursuit le cinéaste. Elle m'a alors raconté avoir déjà vécu en France pendant cinq ans. J'étais tellement content! En plus d'être une formidable actrice, Sidse ne connaissait pratiquement rien de Fabrice. Elle n'avait pas d'idée préconçue.»

Grâce au succès du film, toutes les portes du cinéma français s'ouvrent désormais à l'actrice danoise. Sidse Babett Knudsen sera en outre la tête d'affiche de La fille de Brest, le prochain film d'Emmanuelle Bercot (La tête haute).

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L'hermine prendra l'affiche le 11 mars. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.