Vendredi en fin de matinée. L'acteur et désormais humoriste Emmanuel Bilodeau débarque au cinéma de la Banque Scotia, son casque de vélo dans les mains. Il accompagne La Presse à la projection du film The Revenant, présenté à midi.

Il n'a pas encore vu le film.

Normal, vous dites-vous, il vient tout juste de sortir.

Sauf qu'Emmanuel Bilodeau joue dans le dernier Iñárritu.

Certes un petit rôle dans ce western américain intense mettant en vedette un Leonardo DiCaprio sur le sentier pédestre des Oscars, campé dans l'ambiance du Wyoming profond, sauvage et brutal du début du XIXe siècle.

C'est néanmoins un Emmanuel Bilodeau fébrile comme un enfant déballant son premier Tonka jaune qui pousse la porte de la salle de cinéma du centre-ville.

«Pis, la critique? Elle est bonne?», demande-t-il d'entrée de jeu. Il n'a visiblement pas lu ou entendu grand-chose sur le film jusqu'à maintenant.

Une cinquantaine de personnes ont pris place dans la salle numéro 12.

Les auditions

Pendant les interminables bandes-annonces, Emmanuel Bilodeau, ravi, revient sur cette drôle d'expérience dans son curriculum vitae.

«C'était absurde. Le niveau de stress est complètement démesuré par rapport à l'ampleur de l'aventure.»

D'abord l'audition à Montréal. Celle-ci se passe bien, mais l'acteur est écarté en raison d'un manque de souplesse dans son horaire. À l'époque, Emmanuel Bilodeau promène son One Manu show un peu partout en province.

D'autres acteurs québécois tentent leur chance. Emmanuel Bilodeau se fait offrir d'auditionner à nouveau. Le projet lui tient à coeur. Il faut comprendre qu'Iñárritu est LA raison pour laquelle le comédien s'est lancé dans ce projet. Il semble vouer une admiration sans borne au cinéaste.

Emmanuel Bilodeau décroche le rôle. À certaines conditions. «Ils m'ont demandé d'être disponible chaque fois que j'avais congé et d'être en quelque sorte sur le hold durant tout l'hiver.»

Le plateau

Il s'envole une première fois pendant deux jours sur les lieux de tournage au nord de Calgary pour essayer le maquillage et les costumes.

Coup de fil en novembre. Emmanuel Bilodeau doit se rendre à Squamish, une bourgade perchée au nord de Vancouver, en Colombie-Britannique.

«Nous nous sommes réveillés à 4 heures du matin, puis on nous a transportés en quatre-roues dans la forêt.»

Emmanuel Bilodeau tourne alors la scène 18. SA scène. Mais surtout, il rencontre son idole. «J'ai capoté de faire ça. Iñárritu était en tabarnak toute la journée. Les deux acteurs avec moi ont choké tous les deux: l'un n'était pas prêt, l'autre intimidé. Je n'avais pas d'oreillette quand je parlais indien», raconte Emmanuel qui personnifie un coureur des bois canadien-français servant aussi d'interprète auprès des Indiens.

«On s'en crisse de moi dans le film, mais je me suis surpassé!»

Bilan de l'aventure: une journée de tournage, des heures de maquillage, des mois de stress et un cachet d'environ 600 $.

Rencontres fabuleuses

Mais une chose aussi imprévue que fabuleuse s'est produite.

Iñárritu a bien aimé l'acteur québécois. «Bizarrement, Iñárritu m'a pris en affection. Ça cliquait», souligne fièrement le comédien. «Nous nous reverrons, Emmanuel», lui a glissé le réalisateur américano-mexicain après le tournage.

Au cours de cette journée, il a même croisé Leonardo DiCaprio, un peu par hasard, fin seul dans la forêt. «Je me suis présenté, juste pour le raconter à ma fille qui est amoureuse de lui», badine Emmanuel Bilodeau, qui a brièvement causé «environnement» avec la star hollywoodienne.

Il est en spectacle en Abitibi lorsque l'équipe de The Revenant fait à nouveau appel à lui pour tourner une autre scène.

Emmanuel Bilodeau décline. L'aventure n'est pas assez payante, le tournage est ardu. Et puis, il a déjà réalisé son rêve.

Un rêve de 2 minutes 31 secondes, soit la durée de sa prestation dans le film.

«Je me fous de l'argent. Je l'aurais même fait gratuitement. Mais je n'étais pas heureux, on nous traitait un peu comme de la marde en nous faisant comprendre qu'on pouvait être flushés n'importe quand», déplore Emmanuel Bilodeau.

Projection

Midi et quart, le film commence.

Emmanuel Bilodeau demande de s'asseoir seul.

«Pourquoi? Ça te gosse que je sois à côté de toi? 

- Ouain, un peu. On ne se connaît pas et j'aime ça, être dans ma bulle. De toute façon, on ne parle pas au cinéma», justifie le comédien, fort sympathique malgré tout.

Après la projection du film dans lequel les personnages souffrent le martyre dans une Amérique hostile, le comédien québécois est resté longtemps calé dans son fauteuil. Soufflé. «Je l'ai vécu un peu. J'étais avec eux au bout, dans la souffrance.»

Deux jeunes spectateurs sortent du cinéma et le félicitent pour sa performance. La jeune fille trouve cool qu'il ait conservé l'accent québécois. Le comédien les remercie tous deux, un peu mal à l'aise de recevoir des fleurs.

Il voit sa modeste contribution avec humilité.

Mais comme sa plus grande passion demeure le cinéma, il serait prêt à tourner encore, ici comme ailleurs. «Je capoterais par exemple de jouer dans le Blade Runner de Denis Villeneuve. Je capoterais même de jouer une poignée de porte dans son film», plaisante Emmanuel Bilodeau, avant de mettre son casque de vélo pour repartir.

Le message est lancé.