l y a un thème récurrent dans l'oeuvre cinématographique de Léa Pool: le passage à l'âge adulte. On l'a vu bien sûr dans Emporte-moi, qui a révélé l'actrice Karine Vanasse en 1998. Mais aussi dans Maman est chez le coiffeur avec le personnage d'Élise qu'a incarné la jeune Marianne Fortier, abandonnée par sa mère - qu'interprétait justement Céline Bonnier.

Cette fois, il est question du passage à l'âge adulte du personnage d'Alice (Lysandre Ménard), admise malgré elle dans ce couvent à vocation musicale. Mais Léa Pool aborde aussi à travers ce personnage le passage à la modernité d'une communauté religieuse.

«C'est vrai que j'affectionne ces "passages", nous dit la cinéaste d'origine suisse. J'aime travailler avec des jeunes qui portent cet espoir. J'ai un réel plaisir à découvrir des actrices en devenir. C'est quelque chose qui m'interpelle et me fascine. C'était le cas avec Karine et Marianne et maintenant avec Lysandre, qui est pianiste, mais dont c'est le premier rôle au cinéma. Il y a chez elles une innocence et une vérité qu'on peut aller chercher.»

Deux histoires parallèles se relaient dans La passion d'Augustine: d'abord celle du couvent de Saint-Ours, au bord du Richelieu, menacé de fermeture à la suite de la création du ministère de l'Éducation et de l'instauration des écoles publiques. Puis celle, plus intime, d'Alice, élève rebelle mais pianiste douée, qui entre à reculons dans ce pensionnat dirigé par sa tante: mère Augustine.

«Alice participe à la modernité de cette communauté, précise Léa Pool. Elle arrive dans ce couvent au milieu de l'année scolaire, elle est habillée en hippie, elle aime le jazz alors que les soeurs enseignent la musique classique. On voit d'ailleurs qu'Augustine l'apprécie, même si elle ne le montre pas trop. C'est aussi Alice qui la replonge dans son passé. Donc c'est vraiment un personnage charnière.»

La contribution des religieuses

Pourquoi s'être intéressée à ce pan de l'histoire du Québec où les écoles relevaient des communautés religieuses? D'autant plus que Léa Pool est arrivée au Québec une bonne dizaine d'années après l'instauration du système d'éducation publique.

«Je suis venue au Québec en 1975 parce que je trouvais que c'était un pays en effervescence, tout bougeait, la musique, la politique, tout, explique-t-elle. Quand j'ai découvert qu'à peine 10 ans plus tôt, vous étiez sous le joug de la religion à ce point, ça m'a complètement fascinée. Le bond en avant que le Québec a fait en une si courte période était spectaculaire.»

Quand Marie Vien lui a proposé le scénario de La passion d'Augustine, Léa Pool s'est sentie interpellée, d'autant plus qu'aucun film n'avait abordé ce sujet avant. On sent d'ailleurs chez elle une certaine admiration pour cette communauté de femmes.

«Je n'y vois pas de nostalgie parce que je n'étais pas ici et que je n'ai pas eu d'éducation catholique, dit-elle, mais oui, j'ai du respect et un regard tendre sur ces femmes qui ont été vite jugées ou maltraitées à l'époque, même s'il fallait sans doute le faire pour sortir de cette période. Sauf que ces femmes-là ont fait beaucoup pour le Québec. Sur le plan de l'éducation, de la musique, de la santé. Elles font partie de notre histoire.»

Même si elle revient sur le passé religieux des écoles, Léa Pool estime que son film aborde des questions actuelles. «Les questions de la charte, du voile et de la laïcité, on n'arrête pas de parler de ça aujourd'hui, mais il y a 50 ans, le Québec était exactement là.»

La musique dans le film est omniprésente. Ce n'est pas un hasard. «Leur spiritualité passe par la musique, insiste Léa Pool, qui a fait appel à François Dompierre comme directeur musical. Plusieurs de ces femmes considéraient le couvent comme une autre façon de vivre. Surtout si elles voulaient continuer d'étudier et qu'elles ne voulaient pas se marier. C'était un endroit où elles pouvaient vivre différemment. La musique était pour elles un espace de liberté.»

Cadre réaliste

Léa Pool a vu de nombreux documentaires sur cette période, afin de recréer fidèlement le cadre historique, sans tomber dans la caricature. «J'ai vu plusieurs documents, parlé à beaucoup de gens et je peux vous dire qu'il y avait une belle solidarité entre elles, elles riaient beaucoup, elles avaient le plaisir de vivre. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, elles n'étaient pas toutes austères.»

Céline Bonnier et Lysandre Ménard sont entourées d'une douzaine d'autres actrices parmi lesquelles Diane Lavallée, Valérie Blais, Pierrette Robitaille, Marie-France Lambert, Andrée Lachapelle et Maude Guérin. «Je ne sais pas s'il existe d'autres films avec 12 premiers rôles de femmes, rigole Léa Pool, mais c'est assez unique. Le mélange des générations est aussi très intéressant pour moi.»

Dans l'une des scènes marquantes du film, les soeurs remplacent leurs voiles par une tenue plus moderne... «Lorsqu'elles acceptent de se dévoiler, elles sont aussi libérées, nous dit la cinéaste. Pour cette scène, j'ai dit aux actrices: imaginez que vous avez porté ce voile depuis 35-40 ans et que vous le retirez pour la première fois. Pour certaines, c'était une libération immédiate, mais pour d'autres, c'était comme leur arracher la peau.»

C'est ce regard-là que Léa Pool voulait jeter dans La passion d'Augustine. «Il n'y a rien de revanchard dans le film, dit-elle. Je voulais jeter un regard sans jugement sur ces femmes. Explorer cette période en me disant: voilà ce que le Québec a vécu dans les années 60, voilà d'où on vient et voilà ce que ces femmes ont apporté, mais voici aussi ce qui est bien dans le fait que ça ait bougé et qu'on ait avancé.»