Claudine Sauvé, Stéphanie Weber-Biron, Geneviève Perron et, en tête, Nathalie Moliavko-Visotzky sont non seulement aux premières loges des productions québécoises, mais aussi des transformations du milieu cinématographique.

Au Québec, vers la fin des années 70, Nathalie Moliavko-Visotzky a été la première femme directrice photo «hors ONF», après Monique Crouillère, et «plus particulièrement sur les longs métrages de fiction». «J'ai été la première à entrer dans le département caméra, précise-t-elle, il n'y avait jamais eu de «fille «deuxième assistante à la caméra et encore moins première assistante, et là aussi, j'ai été la première.»

Patiemment, elle a gravi les échelons, se découvrant une passion pour la direction photo alors qu'elle avait étudié en travail social auprès d'enfants en difficulté. Après un projet personnel avec ces jeunes, elle s'est retrouvée sur les plateaux de tournage.

«Je voyais beaucoup de cinéma, j'étais en adoration devant les films de John Cassavetes. Je me suis dit: «C'est ça que je veux faire «. C'était un gros coup de foudre et le lendemain, je suis arrivée sur le plateau et j'ai demandé à être à la caméra. J'ai fait mon chemin comme ça, et j'ai vraiment pris mon temps, puisque je n'avais jamais étudié là-dedans. Sept ou huit ans comme assistante, puis première assistante et dès que j'ai été première à la caméra, j'ai tout de suite engagé des filles. Ce qui n'est pas évident, c'est de monter les échelons dans la hiérarchie, parce que les directeurs photo ont de très grandes responsabilités et l'une d'elles est de mener un plateau.»

Un souvenir marquant de sa carrière, à l'époque où les tournages bénéficiaient de plus de temps qu'aujourd'hui, est Un zoo la nuit de Jean-Claude Lauzon. «Il y avait plus de convivialité, les gens étaient peut-être plus proches, parce que tous les soirs, on regardait nos "rushs". Un soir, Jean-Claude Lauzon nous a fait un petit discours pour nous remercier. Il se disait très heureux sur le plateau, parce qu'il y avait un nombre plus élevé de femmes, et que ça amenait beaucoup de douceur.»

La fameuse caméra à l'épaule

Les plateaux sont souvent masculins, puisque la plupart des équipes techniques le sont. Le cinéma a longtemps été un boys club, comme pour bien d'autres métiers qui demandaient des spécialisations techniques, sans compter que l'équipement des débuts était beaucoup plus lourd. D'ailleurs, les seules questions teintées d'un restant de préjugé, disent nos directrices photo, concernent surtout la fameuse «caméra à l'épaule».

«Il reste certains réflexes, pense Stéphanie Weber-Biron. Les gens ne sont pas consciemment sexistes, mais je me fais encore demander si je suis capable de faire la caméra à l'épaule, alors que ça n'a jamais été un problème pour moi. Je suis certaine que les hommes ne se font pas poser cette question. Par exemple, les gens se disent que pour un film d'action ou d'horreur, ça prend un homme directeur photo et un homme réalisateur, comme si les femmes étaient incapables de filmer une explosion ou une bagarre. Avec mes équipes, ça n'est jamais arrivé, mais au Québec, c'est différent; à l'extérieur, nous sommes plus rares. Je me suis déjà fait dire par un producteur hollywoodien «tu n'as pas l'air d'un directeur photo «. Pourquoi? Parce que je n'ai pas un chandail Panavision et une bedaine de bière? C'est le cliché dans le milieu...»

«C'était vraiment une chasse gardée masculine, confirme Geneviève Perron. C'est assez récent que les femmes s'intéressent au métier. Le fait de diriger des équipes de gars fait peur à plusieurs. Un graphique est sorti à Hollywood, elles représentent 5% des productions. Au Québec, c'est plus que ça. J'avoue que moi, je n'ai pas rencontré beaucoup de difficultés du fait que je suis une femme. Au contraire, ça piquait la curiosité. J'avoue aussi que je me fais souvent engager par des femmes, car toute la hiérarchie est masculine.»

Des petits irritants de plus en plus rares, disent-elles, car la vérité est que ça va de mieux en mieux. Les directrices photo travaillent probablement plus que les femmes cinéastes qui sont sous-représentées dans nos productions.

Il faut quand même avoir la couenne dure pour faire ce métier exigeant, mais passionnant, où chaque film représente une aventure collective unique. Encore mieux, elles peuvent toucher beaucoup de genres, du documentaire à équipe réduite, en passant par la série télé lourde ou le vidéoclip, jusqu'au long métrage.

Amour de l'image

Il faut une passion de l'image et de la lumière pour être directrice photo - la plupart ont développé leur regard par la photographie, comme Claudine Sauvé, qui a eu son premier appareil à 12 ans. «Beaucoup de gens savent qu'ils veulent être cinéastes depuis qu'ils sont enfants, dit-elle. Je ne pensais jamais en faire un métier, mais j'ai découvert que j'aimais m'exprimer par l'image. J'aime beaucoup les émotions fortes, le drame, être déchirée quand je tourne moi-même. Je suis le témoin de quelque chose que j'essaie d'attraper, de saisir. Je suis responsable de développer l'atmosphère, la lumière, les mouvements de caméra qui influenceront le spectateur.»

On ose leur poser la question: y a-t-il une différence entre un réalisateur ou une réalisatrice sur un plateau? Là-dessus, elles sont unanimes: chaque cinéaste est unique et apporte sa propre énergie. Le plus important est la communication entre la direction photo et la réalisation. Tout de même, Claudine Sauvé a noté une chose: «Je trouve que, parfois, les femmes réalisatrices vont se laisser plus déstabiliser, par les producteurs par exemple. Peut-être parce que nous, les femmes, avons tendance à nous remettre en question. Peut-être aussi parce qu'elles tournent moins. Les gars, même s'ils doutent autant à l'intérieur d'eux, leur façon de "dealer" est plus directe, ils vont juste dire non. J'ai tendance à dire aux filles, «come on», laisse-toi pas faire, parce que je vois comment les gars réagissent quand ils se font dire les mêmes choses. Tu as le droit, c'est ton show, c'est toi qui "lead" !»

Pas de doute, avec ces femmes-là, la parité des plateaux de tournage est sur la bonne voie.

Portraits

Stéphanie Weber-Biron

Dans son CV

J'ai tué ma mère et Les amours imaginaires de Xavier Dolan, de nombreux vidéoclips, fondatrice de la boîte de production indépendante daDA.

Prochain projet: le film The Saver de Wiebke Von Carolsfeld.

Sa définition du métier

«C'est l'interprétation de l'histoire en images. De façon plus concrète, on fait le design de l'éclairage et de la caméra. Ça fait partie de mon travail d'essayer de voir comment rendre en images l'histoire, pour que les émotions et le style soient bien représentés.»

Ses conseils aux aspirantes

«Faire de la photographie. Parce que c'est super accessible, et que c'est une bonne façon d'explorer les cadrages. Aussi, travailler constamment la lumière. Ça peut même devenir drôle, chez moi, dans un party, je grimpe sur un tabouret et je tamise à ma façon les lumières! C'est ce qui nous permet de devenir bons, c'est un moyen facile de s'exercer. Et avoir une petite caméra numérique pour se pratiquer à faire des mouvements ou de la caméra à l'épaule, c'est toujours un bon outil.»

Claudine Sauvé

Dans son CV

Miraculum de Podz, Tromper le silence de Julie Hivon, The Wild Hunt d'Alexandre Franchi, Premier juillet de Philippe Gagnon, les téléséries Minuit, le soir, 19-2, Tu m'aimes-tu?, C.A. et François en série.

Sa définition du métier

«Ce que j'aime, c'est d'essayer de traduire concrètement ce que le réalisateur a dans sa tête, son rêve, sa vision. Je concrétise ça. Nos regards se mélangent, et ça crée quelque chose d'unique.»

Ses conseils aux aspirantes

«Dans le fond, il faut être soi-même. Il ne faut pas essayer de jouer à la plus forte et essayer d'imiter les gars. Il faut être transparente, honnête et être prête à travailler très fort. C'est un milieu quand même assez dur, il y a beaucoup d'ego. Il faut apprendre à ne pas prendre les choses personnellement.»

Nathalie Moliavko-Visotzky

Dans son CV

Catimini de Nathalie St-Pierre, Le règne de la beauté de Denys Arcand, Les fantômes des trois Madeleine de Guylaine Dionne, Détour de Sylvain Guy, la série télévisée Nos étés.

Prochain projet: des courts métrages avec André Melançon et Marie Vallée.

Sa définition du métier

«C'est la mise en images d'une histoire. Les réalisateurs ont déjà une vision de leur film, et c'est à vous, comme directrice photo, de comprendre ce que veut la personne qui réalise. Quel genre de lumière, de plan, est-ce qu'on raconte cette histoire avec une multitude de plans ou une économie de plans? Il faut vraiment une bonne entente, donc. Je me mets au service de la personne qui réalise.»

Ses conseils aux aspirantes

«Développer son regard. Je pense que tout le monde peut développer son regard jusqu'à sa mort. Faire de la photo.

Pour, justement, choisir un cadre. Aller au musée et voir tout ce qui se fait. Je dirais aussi que la communication avec un réalisateur et toute son équipe est incroyablement importante.»

Geneviève Perron

Dans son CV

Gurov et Anna de Rafaël Ouellet, L'ange gardien de Sébastien Lord, Camion de Rafaël Ouellet, Le journal d'Aurélie Laflamme de Christian Laurence, le documentaire Fermières d'Annie St-Pierre.

Prochain projet: la série documentaire Interdit à TV5.

Sa définition du métier

«C'est tout ce qui a trait à l'image dans une production. À la fois la caméra, l'éclairage, et la colorisation ensuite. Nous sommes responsables de la qualité artistique et technique de l'image.»

Ses conseils aux aspirantes

«Il faut développer en parallèle son sens artistique. S'intéresser à l'art, aller voir des expositions, regarder des films. De l'autre côté, il faut rester à jour dans tout ce qui est technique. Les caméras changent à une vitesse folle, il faut toujours proposer les meilleurs outils.»