Se posant volontairement à l'autre bout du spectre du cinéma dit de «divertissement», François Delisle creuse son sillon en explorant des thèmes graves. Qu'il sublime grâce un traitement poétique et cinématographique. Chorus est un film d'art.

François Delisle persiste et signe. Dans l'esprit du réalisateur de Toi et de 2 fois une femme, il n'est d'autre conception du cinéma que celle qui se construit à l'aune de la création artistique, en toute liberté. 

De retour des festivals de Sundance et de Berlin, où Chorus a reçu un bel accueil, le cinéaste affirme être en possession de ses moyens depuis Le météore, son film précédent. Il a en outre trouvé une façon de travailler qui sied bien au cinéma qu'il entend réaliser et produire. Il convient d'ailleurs de signaler qu'en plus d'avoir écrit le scénario, Delisle a signé les images de Chorus. Il s'est aussi occupé du montage.

«Je ne peux plus faire de films autrement, explique François Delisle. Tout est lié, tout se fait de façon naturelle. Je travaille à la façon d'un artisan. Je suis très bien entouré par une équipe que je connais et que je retrouve de projet en projet, tant les miens que ceux des autres cinéastes avec qui ma société de production travaille. Je vais probablement emprunter cette manière-là toute ma vie. Je n'ai surtout pas l'intention de me mouler à un système industriel. C'est une question de respect de soi-même aussi!»

Des films libres

Le débat lancé par ceux qui, depuis quelques années, réclament des films québécois plus «populaires» n'est guère pertinent à ses yeux.

«Il y a encore de la place au Québec pour un cinéma de création, soutient-il. Il y a toujours moyen de former une structure de production qui permet de réaliser des films librement. Ce à quoi on assiste présentement est la fin d'un système. Il y a des gens qui, désespérés devant la baisse générale de fréquentation, disent n'importe quoi. Devant le désespoir, on se met toujours à avoir le réflexe d'aller aux extrêmes et aux solutions les plus rapides. Or, c'est à eux de revoir leur façon de présenter des films. La balle est dans leur camp. L'art va toujours subsister devant ça. Je peux faire des films avec rien et trouver un public. Ici et ailleurs. Je ne suis pas inquiet.»

En revanche, le cinéaste estime que nous avons déjà pris du retard au chapitre de la diffusion des films. Et des nouvelles possibilités qu'offrent d'autres plateformes. À son avis, le système actuel est sclérosé.

«On sort toujours les films de la même façon, même si on s'aperçoit que ça ne marche pas, fait-il remarquer. Et après, on appuie sur le bouton panique. Si on faisait exploser toutes les fenêtres de diffusion, ça réglerait déjà une bonne partie du problème, me semble-t-il. Par définition, nous sommes réfractaires au changement. Or, le changement n'est pas synonyme de disparition.»

Évoquer un état

Chorus est un projet qui fut long à mûrir. Il fait écho à l'histoire d'un couple qui, après plusieurs années de séparation, se reforme à la faveur de la résolution d'un drame vécu dix ans plus tôt, soit la perte d'un enfant.

«Un sujet comme celui-là crée forcément des points de tension très forts, indique François Delisle. Il est inutile d'en rajouter. Ça me permet de travailler les nuances, la subtilité. Je souhaite alors plutôt évoquer un état et faire vivre l'expérience au spectateur. Comme les événements tragiques sont survenus il y a dix ans, on n'est plus vraiment dans la crise, même si le fait que l'histoire ait enfin un dénouement fait resurgir des choses. Mais cette distance dans le temps permet d'être un peu plus existentiel, moins dans l'urgence.»

Le plus difficile aura été de trouver l'angle sous lequel on peut aborder une telle histoire. D'où ce travail de longue haleine. L'origine de Chorus remonte même à avant 2 fois une femme. Le cinéaste a en outre coécrit une version du film avec un autre scénariste. L'expérience ne fut toutefois pas concluante.

«Inconsciemment, je suis très heureux que ça ait pris tout ce temps, dit-il. Il fallait laisser reposer les choses un peu. Le météore a consolidé ma façon de faire des films. C'est maintenant devenu très limpide. Il faut laisser les choses venir. Ironiquement, la version de Chorus qui se retrouve à l'écran ressemble beaucoup à celle que j'ai écrite au tout début.»

Le noir et blanc ne s'est pas imposé de façon immédiate ni consciente. C'est en tombant par hasard sur des images du photographe américain Mark Steinmetz que tout s'est cristallisé dans son esprit.

«On sort d'une réalité aussi, explique le cinéaste. Ça devient presque un rêve. Quand on tourne en noir et blanc, on n'aborde pas la lumière de la même façon non plus. On se sent même un petit peu plus libre.»

Ne laissant rien au hasard, François Delisle fait partie de ces cinéastes pour qui une préparation en amont est essentielle. Dès l'étape de l'écriture du scénario, l'investissement personnel est total.

«J'écris tout, dit-il. Je n'ai aucune pudeur. Mon désir de scénariste est de tout donner. Ça va même assez loin. Je mets dans le scénario des choses qu'on n'écrit pas habituellement. Je ne garde rien pour moi. Ce qui fait que ma vision du film est déjà précise au moment du tournage. Sur le plateau, je n'ai plus beaucoup de choses à dire. Je reste alors très près des acteurs. Et je leur suis toujours disponible.»

Au coeur de Chorus

Fanny Mallette (Irène)

«Quand on lit un scénario comme celui de Chorus, on sait qu'on devra ensuite en discuter avec l'auteur. Les scènes que j'ai eu à préparer pour l'audition m'ont permis de le faire. François ne voulait pas de lourdeur. Déjà à cette étape, il parlait de lumière.» En plus de lui donner l'occasion de se glisser dans la peau d'un personnage auquel elle pouvait donner plusieurs nuances, Chorus a été le théâtre d'une toute première rencontre entre Geneviève Bujold et elle. «Un rêve s'est concrétisé! lance l'actrice. On me parle de Geneviève depuis très longtemps. On m'a toujours dit que je lui ressemblais physiquement beaucoup, même à l'époque de l'école de théâtre. Au point où, à l'adolescence, j'ai voulu voir un de ses films. Quand j'ai enfin vu Anne des mille jours, le choc a été d'autant plus grand que j'avais alors à peu près le même âge qu'elle dans le film. À la vue de certains plans, j'en étais même émue. Cette rencontre devait arriver un jour. On s'est rendu compte que nous partagions vraiment une même communauté d'esprit. Geneviève disait que c'était une rencontre de coeurs!»

Sébastien Ricard (Christophe)

François Delisle avait déjà vu jouer Sébastien Ricard au théâtre plusieurs fois. Ce n'est toutefois qu'en voyant quotidiennement le travail du comédien pendant le tournage du très beau film de Catherine Martin Une jeune fille, qu'il produisait, que l'idée lui est venue de lui offrir le rôle du père meurtri dans Chorus. «François m'a tout simplement invité à manger, raconte l'acteur. Il m'a parlé de son projet et à la fin, il m'a offert le rôle. Je suis parti avec le scénario. J'ai accepté d'emblée, d'autant que j'ai beaucoup d'estime pour son travail. J'aime sa démarche sans compromis. J'aime son attitude. 

«Sur le plateau, poursuit-il, ça se passe bien parce que François a déjà une idée très précise de ce qu'il veut. Surtout, il se donne du temps pour arriver à respirer à l'intérieur de ça. Dans Chorus, il n'y a pas une seule scène où j'ai eu l'impression que nous n'avions pas eu le temps d'aller au bout des choses. 

«Je connaissais par ailleurs déjà Fanny très bien, car nous étions dans la même classe à l'école de théâtre. Comme nous n'avions encore jamais eu l'occasion de travailler ensemble, ce fut comme une sorte de retrouvailles!»

Geneviève Bujold (Gabrielle)

Elle vit toujours en Californie, mais elle ne se fait pas prier pour revenir dans son pays natal dès qu'un rôle «lui donne des ailes». Pour François Delisle, dont elle appréciait déjà beaucoup les films, Geneviève Bujold a accepté d'incarner Gabrielle, la mère d'Irène. Et grand-mère d'un petit-fils disparu. «Elle porte la douleur d'avoir perdu un petit-fils, mais elle porte aussi dans son coeur la souffrance de sa fille, indique l'actrice au cours d'un entretien téléphonique.

Dès le premier jour de tournage, on pouvait ressentir la notion de sacré - c'était la scène des funérailles - et le sentiment de grande beauté qui allait traverser ce film. Ce qui caractérise François et son équipe, c'est d'abord la douceur. François est animé d'une énergie profonde, mais il reste calme. Il sait ce qu'il veut et comment il le veut. C'est sa création. Il m'a dirigée, tout en restant très ouvert à ce que je pouvais apporter à partir de ma compréhension du personnage. Et puis, j'ai pu jouer avec Fanny Mallette. La belle et talentueuse Fanny. On m'avait dit qu'elle me ressemblait et quand je l'ai vue, j'ai vraiment trouvé que c'était vrai, que nous avions une parenté. Fanny a les pieds sur terre, mais son esprit voyage. C'est là qu'on s'est retrouvées toutes les deux!»

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Fanny Mallette et Sébastien Ricard.