Nouvel opus de Charles Binamé mettant en vedette Xavier Dolan, Elephant Song est un hallucinant huis clos dans lequel les destins de deux personnages que tout oppose vont se télescoper de façon brutale.

À l'image d'une feuille de papier photo plongée dans un bain de révélateur, la vie du docteur Toby Greene va peu à peu apparaître sous nos yeux, et les siens, lorsqu'il fait la connaissance de Michael, jeune patient de l'hôpital psychiatrique dont il assume la direction.

Michael, le révélateur? Sans doute. Le réalisateur Charles Binamé, jardinier à ses heures, préfère le compost comme comparaison.

«Le destin d'un personnage agit comme compost pour le destin de l'autre, suggère-t-il. C'est une image qui m'est venue en préparant le film. Des fois, notre destin peut agir obliquement comme terreau dans la vie d'un autre. Pas parce qu'on l'a voulu, mais parce qu'on était là.»

Binamé a été happé par le scénario que lui a soumis le dramaturge Nicolas Billon, qui a adapté sa pièce The Elephant Song écrite en 2004.

Campé la veille de Noël dans les années 60 dans une institution psychiatrique, Elephant Song met en scène Michael (Xavier Dolan), patient de l'institution, et le docteur Toby Greene (Bruce Greenwood), le directeur. À la suite de la disparition du docteur Lawrence (Colm Feore), Greene interroge Michael, dernière personne à l'avoir vu.

S'ensuit un saisissant jeu de chat et de souris dans lequel Michael, redoutable manipulateur, défiera non seulement les questions du docteur Greene, mais le forcera à affronter ses propres démons.

«Ce croisement des destins était intéressant, dit Binamé. Ce que Michael amène va avoir une incidence sur la vie de Greenwood. Je voulais creuser cet univers pour essayer de comprendre qui est ce psychiatre. Ce n'est pas juste un faire-valoir. Il a un passé. Il porte en lui une blessure, un drame.»

Dans la filmographie de Charles Binamé, on retrouve plusieurs personnages, à l'image de Michael, gravement blessés ou à la santé mentale fragilisée. On pense à Henriette dans Eldorado, Louise dans Le coeur au poing, Chili dans C'était le 12 du 12 et Chili avait les blues...

La remarque intéresse le cinéaste. «J'ai toujours vu mes choix de films liés au facteur humain. Mais là, je préciserais que c'est un facteur d'humains en panne, blessés ou hypothéqués. En fait, il y a beaucoup de victimes dans mes films. Louise en était une dans son enfermement, son incapacité d'aller à la rencontre du monde. Même Séraphin était une victime, celle de la colonisation et de ses abus.»

Michael

Invité à commenter son choix de Xavier Dolan pour incarner Michael, Binamé dit: «Ça allait de soi! Xavier a l'impertinence joyeuse, la dégaine, la brillance qu'il fallait. C'est un maître des illusions. Il fait danser les flammes et a l'oeil malin.»

Il a souvent été dit que lorsqu'il a su que le producteur Richard Goudreau avait acquis les droits d'adaptation il y a huit ans, Dolan a tout de suite fait les démarches pour le rencontrer et le convaincre de le choisir pour le rôle.

«Sur papier, c'est un rôle tellement inspirant, amusant, fin, dit Xavier Dolan en entrevue. C'est une partition dorée, un vaisseau incomparable. Lorsque de tels personnages passent, il faut les prendre. Ils sortent littéralement de la feuille et crient leur besoin d'être joués. C'est un privilège pour un acteur d'avoir à manipuler des traits de caractère aussi vicieux, aussi sournois.»

Bien sûr, ajoute Dolan, c'est un naturel pour un comédien de vouloir incarner un méchant. Mais attention! Son Michael n'est pas que mauvais. «Il a aussi un côté plus lumineux, plus trouble, dit-il. C'est un personnage contrasté, ce qui le rend aussi intéressant.»

Le personnage de Michael est-il réellement malade? Non, répond fermement Dolan avant de se corriger. «En fait oui, mais il n'a pas la maladie que l'on croit. Il est beaucoup plus intelligent et pervers qu'on le croirait. Surtout à son endroit. Il est plus acteur que fou.»

S'il est un peu acteur, joue-t-il contre lui? «Oui, tout à fait. Car il va se donner corps et âme pour avoir ce qu'il veut.» Et se donner ainsi est très dangereux...

Dolan était d'autant plus heureux de jouer un rôle aussi «payant», comme on dit dans le milieu, qu'il n'ose pas s'en attribuer dans les films qu'il réalise.

«Je n'aurais pas osé m'écrire des personnages comme ça. Les critiques ont déjà assez de difficulté à accepter que je joue dans mes films Tom à la ferme]. Plusieurs ont déjà mentionné que j'étais mauvais ou le plus faible de la distribution. Ce sont des paroles qui m'ont tellement blessé que je n'ai jamais eu l'audace par la suite de me donner des rôles dits payants. J'aurais eu trop peur qu'on m'accuse de vouloir me mettre en valeur.»