Règle générale, les comédiens aiment jouer des rôles éloignés de ce qu'ils sont dans la vie de tous les jours. Cela leur permet de s'aventurer dans des zones d'ombres inexplorées. Interprète de Félix dans le film Félix et Meira de Maxime Giroux, Martin Dubreuil livre une vision à contre-courant. Enfin, dit-il, il incarne un personnage en qui il se reconnaît.

Il a été punk dans Elvis Gratton, torturé dans Les 7 jours du talion, junkie dans La run. On en passe. Poqué, «fucké», blessé, Martin Dubreuil a donné.

Il ne pouvait être plus heureux lorsque le scénariste Alexandre Laferrière et le réalisateur Maxime Giroux lui ont forgé le rôle de Félix, homme charmeur et gentil, qui ne ferait pas de mal à une mouche, dans le film Félix et Meira.

Bon, d'accord, Félix est quand même un être vivant dans la marge, faisant ici écho à plusieurs rôles antérieurs de Dubreuil. Homme-enfant, candide, vivant du minimum, il ne sera jamais le porte-étendard de l'expression «métro, boulot, dodo». N'empêche, cette bonne pâte fera la conquête de Meira, une juive hassidique, mariée et mère, qui quittera sa communauté pour lui.

«On ne me donne jamais de rôle de romantique. Et pourtant, je pogne avec les filles, dit Dubreuil en s'esclaffant. On dirait que les cinéastes et les gens de la télé ne peuvent pas me voir comme un beau gars, un charmeur. On va toujours choisir la voie facile et faire de moi une brute, un tout croche. Jouer le contraire de ce que je suis, je l'ai fait en masse. C'est vrai que je l'ai facile. Mais dans la vie, je suis plus un charmeur qu'un bandit!»

Jamais rien de banal

Son grand ami Alexandre Laferrière confirme. 

«Martin est la personne la plus authentique que je connaisse, dit-il. Avec lui, il n'y a jamais rien de banal. Chaque fois que je le rencontre, la routine du quotidien prend le large. Martin a tellement de charme, d'imagination et de soif de vivre qu'il vous transforme un simple rendez-vous chez le vétérinaire en une véritable scène de film. À mon grand plaisir, j'ai été témoin de cette fois où il a fait passer un chat aux yeux rouges pour le démon en personne!»

Le fait d'incarner Félix, qu'il qualifie de «rôle le plus proche de [lui]» de sa carrière, a enlevé un poids sur les épaules de Dubreuil. «Composer un personnage, c'est de la job et du stress. Tu as peur de ne pas être crédible. Ton imagination t'amène dans toutes sortes de directions d'interprétation.» D'avoir autant de possibilités donne le vertige.

Il n'y a pas que le charme qui rapproche le Félix de l'écran du Martin du Mile End. Il y a leur côté artiste. Ils jouent tous deux de la musique. Ils dessinent tous les deux. Les dessins que l'on voit dans la cage d'escalier menant à l'appartement de Félix dans le film sont les oeuvres de Martin.

Il écrit aussi, ayant un amour fou des mots. «J'écris des poèmes... et des emails [rires], dit Dubreuil. Écrire un email, c'est jouissif. Je prends beaucoup de temps pour écrire cinq phrases. Je les peaufine.» Ses poèmes, il travaille actuellement à les faire publier sous forme de recueil.

Mûrissement

Martin Dubreuil n'a pas de formation d'acteur. Il a appris le jeu par lui-même. Il a fait du théâtre à l'école. Un jour, à la fin d'une pièce au secondaire, un homme est venu le féliciter sur scène et lui a dit de faire carrière dans le domaine.

«Ce gars-là, un parent, m'a dit que si je ne faisais pas le métier d'acteur, je serais complètement dans le champ. Je ne l'ai jamais revu, mais je lui en dois une, dit Dubreuil. Il m'a donné la confiance dont j'avais besoin.»

Au début de l'âge adulte, il veut tout faire: écrire, tourner, jouer. Il regarde le parcours de Xavier Dolan et se rappelle combien il a été traversé par la même énergie, a senti le même feu intérieur. Refusé en cinéma au cégep d'Ahuntsic, Martin Dubreuil propose ses services d'acteur aux étudiants de l'Université Concordia qui tournent des courts métrages. Plusieurs retiennent ses services. Sauf Maxime Giroux, le gars le plus doué de sa promotion, juge Dubreuil. 

«J'ai joué dans tous les films des gens de sa classe sauf les siens. Un jour, au hasard d'une rencontre, je lui ai dit que j'aimerais travailler avec lui.»

Charisme

La voie est tracée. Giroux retient les services de l'acteur pour plusieurs courts métrages ainsi que ses trois longs: Demain, Jo pour Jonathan et Félix et Meira. Fruit de ce mûrissement, Félix est le rôle que Martin Dubreuil attendait depuis longtemps de son association avec Giroux; celui d'un doux et aussi un premier rôle d'envergure.

Questionné sur le jeu de Dubreuil, Giroux lance des mots lourds de sens. 

«Martin est un comédien fait pour le cinéma, dit-il. Il a un charisme cinématographique. Il y a de grands comédiens au Québec pour le théâtre et la télévision, mais il n'y en a pas tant que ça pour le cinéma. Les gens qui ont ce charisme [il cite Roy Dupuis et Pascale Bussières en exemple], on fait un gros plan sur eux et il va se passer quelque chose dans leurs yeux.»

À 42 ans, Martin Dubreuil est heureux de ce qui se passe dans sa vie professionnelle. Côté famille, tout baigne. Il exerce beaucoup son job de père alors que sa conjointe termine un postdoctorat en génétique.

Outre Félix et Meira, on le verra sous peu dans les films Les loups de Sophie Deraspe, Avant les rues de Chloé Leriche et dans la reprise de la pièce Le chant de meu de Robin Aubert.

Et cet homme aux mille et un courts métrages n'oublie pas ses origines. En mars, il sera l'invité du festival Regards sur le court au Saguenay où l'on fera une rétrospective de six de ses films.

Félix et Meira prend l'affiche le 30 janvier.

Quatre films marquants

Nous avons demandé à Martin Dubreuil de nommer quelques films dans lesquels il a joué et pour lesquels il a une affection particulière. Exercice difficile et périlleux pour ce comédien entier. « Il y en a tellement », dit-il avant de proposer ces quatre titres.

Les 7 jours du talion

Tiré d'un roman et scénarisé par Patrick Senécal, ce film de Podz met en vedette Dubreuil dans le rôle d'Anthony, homme capturé et torturé par Bruno Hamel (Claude Legault) qui le croit être le meurtrier de sa fille. « C'est le film où j'ai travaillé le plus fort, où j'ai performé et pour lequel je méritais le Jutra. Je n'ai pas peur de le dire », dit le comédien qui n'a pas eu la statuette.

Elvis Gratton 2 : miracle à Memphis

« J'y interprétais le punk, sti ! C'était mon premier rôle professionnel au cinéma », dit fièrement le comédien. Dans ce film de Pierre Falardeau, Bob (Julien Poulin) est le premier humain à revenir à la vie (trois jours après sa mort) en 2000 ans.

15 février 1839

Nouvelle collaboration de Pierre Falardeau et Martin Dubreuil. « C'était quelque chose de jouer un patriote dans un film de Falardeau, lance le comédien. C'était aussi la première fois que j'avais autant de jours de tournage. J'étais entouré de grands acteurs. Je jouais avec Luc Picard, mon acteur préféré au Québec. Un grand honneur. »

Le rouge au sol

Martin Dubreuil n'oublie pas ses racines, soit les courts métrages. Dans sa sélection, il nomme donc ce court de Maxime Giroux bardé de prix à la suite de son lancement en 2005. « Ce fut mon premier rôle principal, dit-il. Ce fût déterminant, le début de mon cinéma «sérieux» comme acteur. »