COUP DE GUEULE - En 2014, les recettes aux guichets des cinémas du Québec ont diminué de 11%. Le coloré président de l'Association des propriétaires de cinémas du Québec, Vincent Guzzo, nous parle de ses craintes, du succès de Mommy, des défis du cinéma québécois et de la tragédie de Charlie Hebdo.

Je voulais vous parler de l'avenir des salles. On a eu les chiffres de la dernière année: une baisse de 11% des recettes dans les cinémas québécois. Est-ce que ça vous inquiète?

On a prétendu que c'était une conséquence des cinémas maison. C'est pas vraiment ça, le problème. Faut qu'on le dise...

C'est quoi, selon vous, le problème?

Tu peux bien avoir une cuisine à la maison, ça t'empêche pas d'aller au restaurant. Le vrai problème, c'est que le monde en demande plus. C'est aussi simple que ça. Qu'est-ce qu'on peut faire pour épater un jeune de 15, 16, 18 ou 22 ans qui voit tout sur son iPad, son iPhone, etc.? Pour un exploitant de salle, le cinéma québécois, c'est comme le crémage sur le gâteau. Le gâteau, c'est le cinéma américain. Pendant quelque temps, dans les années 2000, la popularité du cinéma québécois a compensé la baisse du cinéma américain. Ce n'est plus le cas. Le problème du cinéma américain, comme celui du cinéma québécois, c'est qu'ils ont de la misère à trouver leur marché.

Le cinéma québécois a-t-il ce problème-là, selon vous, parce qu'il n'a pas les moyens d'en mettre plein la vue avec des effets spectaculaires, comme le cinéma américain?

Je ne pense pas. À la base, aller voir un film en salle, c'est une sortie. Sur 8,3 millions de Québécois, la majorité ne mange pas à la Maison Boulud ou au Toqué! Ils mangent du fast-food ou du St-Hubert. Si on veut les attirer comme les restaurateurs le font, il faut que ce soit avec des films «St-Hubert». Est-ce que ces films-là ont moins de valeur artistique ou culturelle? Je ne pense pas. Ce ne sont peut-être pas ceux qui vont nous faire gagner des prix à Berlin ou à Cannes, mais je ne pense pas nécessairement que ce sont des mauvais films parce que les Québécois les aiment.

Moi non plus!

D'un autre côté, ce que les Québécois ont toujours réussi à faire, ce sont des films disons «St-Hubert» avec un volet intéressant. Comme La grande séduction. C'est un film qui présente un vrai problème social, l'absence de médecin dans un petit village, et qui réussit à faire rire.

Vous trouvez qu'on fait trop de cinéma pointu, trop «Maison Boulud» et pas assez «St-Hubert BBQ»...

Je vais faire un parallèle avec ce qui est arrivé en France. C'est une tragédie. On ne peut pas le nier. Mais je trouve que des fois, on essaie d'être controversé, pas parce qu'on a une opinion, mais juste pour être controversé. Tu prends un cartoon de Jésus-Christ qui est en train de coucher avec Marie-Madeleine: c'est controversé, mais c'est une opinion qui est répandue depuis longtemps. Si tu le mets plutôt dans un lit avec un gars, tu sais que tu vas faire capoter le monde, mais c'est sans fondement. Quand je vois le prophète Mahomet qui est en train de «necker» avec un autre, ça me dit quoi de ton cartoon? C'est quoi le but de ton opinion? Le cinéma québécois a perdu un peu son côté réaliste et il a voulu pousser la note en étant chaque fois plus controversé et plus innovateur. Le problème, c'est que l'innovation doit venir graduellement, pour éduquer le monde. Peut-être qu'on a été trop vite, en brûlant les étapes, pour vraiment réussir à convaincre le monde que notre cinéma pouvait être un cinéma controversé. Mommy, le film québécois le plus populaire de l'année, avec toute la couverture médiatique qui l'a entouré, n'a même pas fait assez d'argent pour être dans les cinq films les plus populaires au Québec en 2014. Ce que le monde nous dit, c'est que notre produit n'est pas bon. Pas mauvais culturellement ou artistiquement: les gens sont juste pas intéressés par le cinéma québécois en ce moment.

Ce que vous dites est ironique. Mommy a quand même été un grand succès populaire! Trois millions de dollars au box-office, ce n'est pas rien. Surtout pour un film d'auteur. Je lui prédisais peut-être 500 000 ou 600 000$. Guardians of the Galaxy, le film le plus populaire au Québec l'an dernier, a fait 5 millions. La différence n'est pas énorme. Souvent, le battage médiatique ne se traduit pas en vente de billets.

Dans le cas de Mommy, il y a un élément de plus. Avec ma femme, on fait un party en blanc chaque année. On invite un paquet de monde et on ramasse à peu près 300 000$ qu'on donne à une chaire de recherche sur l'environnement-cancer. C'est pas que le cancer, ce soit réglé, mais avec ma femme, on a décidé de trouver une nouvelle cause. Je me suis dit que ce qui était sexy en ce moment, c'est la santé mentale. Beaucoup de gens vivent avec le comportement erratique de leur jeune de 15 ans. Est-ce qu'il a un problème d'anxiété, de santé mentale, ou c'est juste une question d'hormones, comme on disait avant? Je pense que Mommy a soulevé ça.

Xavier Dolan veut que son cinéma soit populaire. Il ne s'en cache pas. Mais Mommy reste un film exigeant...

On a, au Québec, à la fois le problème du contenu et le problème de la mise en marché. Quand on part avec une philosophie défaitiste, en se disant que c'est impossible de faire de l'argent, chaque dollar qu'on met en mise en marché est un dollar perdu. On a l'impression que je m'en prends au cinéma québécois. Je m'en prends au genre de cinéma que les gens ne veulent pas voir. Ce que les gens veulent voir, à mon avis, ce sont des histoires qui les enrichissent. Si tu veux faire un film sur l'inceste, il faut que tu réalises que tu perds un gros pourcentage de la population. Si tu décides de faire un film sur les amours interdites des transsexuels, moi j'ai pas de problème avec ça, mais il y a des musulmans qui ne vont pas y aller, des juifs non plus, et des catholiques plus âgés. Tu te limites.

Il faut quand même qu'il y ait une place en salle pour le cinéma qui est davantage une forme d'art qu'un divertissement. On ne peut pas seulement faire des films populaires...

Quand on dit que les exploitants de salles ne présentent pas les films québécois, de quoi on parle? Lequel j'ai pas joué? Il faudrait le demander aux quelques distributeurs qui ne me proposent pas leurs films. On a ouvert en 1998 et on a toujours eu de la place pour le cinéma québécois. C'est pour ça qu'on a des salles de 100 places, de 300 et de 400 places. C'est sûr que je ne vais pas jouer un film québécois sur l'inceste ou la pédophilie dans le temps des Fêtes. C'est pas le temps! Il faut comprendre quelque chose: moi, je suis un homme d'affaires. Je veux que les films trouvent leur public, le grand comme le plus petit. Peu importe que je les aime ou pas. C'est comme ça que je fais de l'argent!