Ce jour-là, quand elle est entrée dans le bureau de son producteur, Anne Fontaine a remarqué un roman graphique. Elle qui lit très peu de livres de ce genre n'a pu s'empêcher d'être intriguée. À cause du titre. Gemma Bovery. Comme un clin d'oeil au classique de Flaubert, roman fétiche de la réalisatrice de Coco avant Chanel depuis l'adolescence.

«Puis j'ai vu que c'était signé Posy Simmonds, dont je connaissais le Tamara Drewe. À partir de là, il fallait que je le lise», racontait Anne Fontaine à La Presse pendant le Festival du film de Toronto. «J'ai adoré ce mélange très original d'humour, de quête romanesque d'un homme qui regarde les choses à travers son imaginaire plus qu'à travers le réel.»

Cet homme s'appelle Martin Joubert. Il était éditeur à Paris. Il a tout quitté pour s'installer en Normandie, où il est maintenant boulanger. Son train-train quotidien déraille lorsqu'un couple anglais s'installe dans la maison voisine. Il s'appelle Charles Bovery. Presque Bovary. Et elle, Gemma. Presque Emma. Gemma Bovery. Qui affiche certains symptômes de ce que l'on appelle aujourd'hui le bovarysme. «Elle s'ennuie, elle est insatisfaite de façon chronique, elle est cette femme qui est sous un pommier et espère des poires», poursuit la réalisatrice qui a vu un film dans «cette variation contemporaine du classique». Un film portant «cette façon d'être très anglaise, un ton cruel, aigu, subtil, intelligent».

Dès la lecture du roman graphique, puis en écrivant le scénario (avec Pascal Bonitzer), Anne Fontaine avait un nom, un visage en tête pour incarner Martin Joubert. Fabrice Luchini, qu'elle a dirigé dans La fille de Monaco et qui est «un amoureux fanatique de Madame Bovary». Elle le savait, il allait comprendre immédiatement ce bobo parisien plus ou moins volontairement en exil. Il saurait rendre cette imagination qui se met à bouillonner en présence d'un couple aux noms familiers. Elle, elle surtout: son destin ressemblerait-il à celui, tragique, que raconte le roman?

Martin fantasme. Présume. Dérive. Sauf que Gemma ne sait rien d'Emma. Ne subit pas son «influence». Avance sur sa propre voie.

Pour incarner cette Gemma Bovery, Anne Fontaine avait besoin d'une actrice anglaise. Elle s'est rendue à Londres à quelques reprises, pour faire passer des auditions. N'était pas satisfaite. «Je voulais une Gemma irrésistible, sensuelle, mais qui possède quelque chose de très sympathique et d'humain. Elle n'est pas une prédatrice», explique la réalisatrice qui avait automatiquement écarté Gemma Arterton: parce qu'elle avait incarné Tamara Drewe dans l'adaptation que Stephen Frears a faite de l'autre roman graphique de Posy Simmonds, «j'avais supposé qu'elle ne serait pas intéressée».

Posy Simmonds, bis

Mais... et si elle l'était? Finalement, la réalisatrice l'a contactée. «J'ai trouvé étrange qu'on me sollicite pour un autre Posy Simmonds», reconnaît l'actrice, elle aussi rencontrée à Toronto. «Mais j'ai lu le scénario et ce qui s'en dégageait était très différent de Tamara Drewe. C'était aussi pour moi l'occasion de travailler avec une réalisatrice, ce serait une première; et de jouer en français.»

Langue qu'elle ne parlait absolument pas au moment de son audition - «Bonjour, oui et non, ça se limitait à ça» - et qu'elle manie aujourd'hui fort bien. Elle vit d'ailleurs maintenant à Paris. Selon la rumeur, avec Franklin Ohanessian, qui était second assistant réalisateur sur Gemma Bovery.

L'actrice anglaise l'avoue: elle a «travaillé très fort» pour être à l'aise avec la langue de Molière au moment du tournage. Six mois de préparatifs intenses. Durant lesquels elle a lu Madame Bovary. Et, bien sûr, Gemma Bovery - découvrant combien le scénario du film était très différent de celui du roman graphique, en particulier en ce qui concerne la finale. Une scène qui, comme quelques-unes de celles qui la précèdent, lui a donné du fil à retordre: «Ce sont des scènes très émotives et je craignais, si j'étais trop préoccupée par le français, de ne pas pouvoir accéder à mes émotions. C'était un défi.»

Mais les défis, elle aime. Elle les relève dans des productions indépendantes (The Disappearance of Alice Creed de J Blakeson ou encore The Voices de Marjane Satrapi, que l'on verra en février), qu'elle préfère aux superproductions auxquelles elle se prête aussi - Clash of the Titans, Hansel & Gretel: Witch Hunters et autres Prince of Persia: The Sands of Time, «où il se dépense tellement d'argent que c'en est ridicule».

En fait, ce qu'elle apprécie au-delà de tout, professionnellement parlant, c'est la scène. Actuellement, elle est aux anges puisqu'elle est de la distribution de la comédie musicale Made in Dagenham, dans le West Est de Londres: «Jouer, chanter, danser, tout à la fois, c'est ce qui me rend le plus heureuse», confie-t-elle avec un sourire lumineux.

Et quand elle rayonne, Gemma Arterton, elle est éblouissante. Irrésistible. Loin de toute langueur «bovaryenne».

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Gemma Bovery sera présenté en ouverture de Cinemania le 6 novembre à l'Impérial. Le film prend l'affiche le lendemain.

CHER NIELS...

Emma Bovary avait, parmi ses amants, un noble libertin appelé Rodolphe Boulanger. Gemma Bovery, elle, a Hervé de Bressigny, qu'incarne Niels Schneider. Anne Fontaine a craqué pour lui «parce qu'il peut s'effacer et jouer «fade», qu'il possède quelque chose d'enfantin qui seyait au personnage et une beauté très particulière, qui pourrait être d'un autre siècle. On retrouve la même chose en Gemma [Arterton], elle possède quelque chose de très moderne et de très classique à la fois.