Un auteur identifié à Boston (Dennis Lehane), un réalisateur et un acteur belges (Mikaël Roskam et Matthias Schoenaerts), une comédienne suédoise (Noomi Rapace), un... caméléon anglais (Tom Hardy) et l'icône du New Jersey, James Gandolfini dans son dernier rôle, «envahissent» Brooklyn le temps d'un film noir simplement intitulé The Drop.

Le centre névralgique de The Drop, scénarisé par Dennis Lehane à partir de sa propre nouvelle, est un bar appartenant au cousin Marv (Gandolfini). Enfin, c'était son bar avant que la mafia tchétchène ne s'en mêle. Maintenant, le commerce fait partie de ces lieux qui, la nuit venue, peuvent être utilisés comme point de dépôt et de transit de l'argent gagné illégalement par les truands. Des liasses de billets et des enveloppes brunes passent alors par là, atterrissent dans un coffre. Le tout disparaît à l'aube. Ni vu ni connu. La tension baisse. Jusqu'à ce que le bar, quelques nuits plus tard, redevienne «the drop».

Le centre émotif de The Drop, lui, est Bob Saginowski (Hardy). Il travaille comme barman chez le cousin Marv. Il est sombre. Il est solitaire. Il semble vivre sous une chape de plomb existentielle. Laquelle se fendille quand, après une nuit de travail, il rentre chez lui. Entend des gémissements qui émanent d'une poubelle. C'est un chiot, un bébé pitbull, sauvagement battu puis «jeté» là. Bob décide de le recueillir, le soigne avec l'aide de Nadia (Rapace). La poubelle est à elle. Pas le chien. Ce dernier appartient/appartenait à Eric Deeds (Schoenaerts), l'ex de la jeune femme. Instable. Violent. Qui n'accepte pas de voir celle qu'il aime toujours se lier à un autre homme.

Le décor est planté. L'histoire va pouvoir se jouer. Et son coeur, battre. Particulièrement bien et fort lorsque Tom Hardy est à l'écran. Subtil et nuancé, tout en retenue, il livre ici une prestation formidable, ce Britannique que beaucoup ont découvert en Bane dans The Dark Knight Rises, qui vient de faire merveille dans cette mission impossible qu'est Locke - un homme, une auto, un téléphone; point - et que l'on verra en mai 2015 dans Mad Max: Fury Road.

«J'essaie de changer à chaque personnage que je joue afin qu'il y ait une différence notable entre eux. Pour moi, il y a deux manières de jouer: la présentation et la représentation. Un, je me présente à vous avec un chapeau différent, mais j'utilise ma voix, mon accent, mon physique... bref, c'est Tom Hardy qui se prend pour un espion ou Tom Hardy qui prétend être un vétérinaire. En représentation, je me cache dans un autre être humain, j'utilise les «où, quand, quoi, comment et pourquoi» de sa vie comme camouflage, car là se trouvent ce dont ce personnage-là a besoin pour être», explique Tom Hardy... là, en Tom Hardy.

Noomi et Tom

Comprendre qu'il parle tout bas, dans sa barbe (même s'il n'en portait pas au moment de la rencontre de presse tenue pendant le Festival du film de Toronto), vite, et en faisant fi des micros et des enregistreuses placés devant lui. Sa passion est le jeu, pas la promotion. Même quand elle se fait en compagnie de Noomi Rapace, sa covedette à l'écran, sa grande amie à la vie: ils admiraient le travail l'un de l'autre, ils se sont rencontrés dans des événements mondains et pour un projet qui n'a jamais vu le jour, se sont liés d'amitié. Depuis deux ans, ils tentaient de travailler ensemble. Chose qui s'est concrétisée avec The Drop, mais aussi, tout de suite après, avec Child 44, que l'on verra en avril prochain.

«Tom et moi avons la même approche du travail, c'est-à-dire que nous n'avons pas vraiment de recette. Chaque personnage est différent et nous devons, nous, devenir différents pour le faire «apparaître «», indique celle que l'on a vue dans la trilogie suédoise Millenium où elle a subjugué le public par son incarnation de la déjà littérairement iconique Lisbeth Salander. Bref, «chaque fois, on repart à zéro, et on fait cela avec la même passion et le même dévouement».

Autant d'ingrédients que Tom Hardy utilise en double ces jours-ci, puisqu'il tourne Legend de Brian Helgeland, où il incarne les jumeaux Ronald et Reginald Kray, des gangsters qui ont terrorisé Londres dans les années 50 et 60. «Ils étaient physiquement identiques, mais ils étaient, en même temps, très différents. Beaucoup de mon travail se fait sur la voix», résume l'acteur qui, parlant voix, pour The Drop, a dû adopter l'accent de Brooklyn. Un défi. Qu'il relève avec brio. Bien sûr. Sait-il faire autrement?

Les adieux à Gandolfini

Ils l'appellent affectueusement Jimmy. James Gandolfini. Terrassé par une crise cardiaque le 19 juin 2013.

Noomi Rapace admet qu'elle ne l'a pas «vraiment connu», ils n'ont pas eu à tourner de scènes ensemble dans The Drop. «Mais je l'ai rencontré sur le plateau, j'aimais l'écouter, il était très drôle.»

Drôle. C'est ce dont se souvient aussi Tom Hardy qui, lui, partage pas mal de temps d'écran avec l'acteur devenu Tony Soprano dans l'imagerie populaire: «Il riait beaucoup et il me faisait beaucoup rire. Mais, sérieusement, il faisait partie de ces acteurs de la côte est américaine et du milieu du théâtre que j'ai rencontrés, comme Philip Seymour Hoffman, qui sont extrêmement talentueux, beaux, sensibles, vulnérables, qui se consacrent entièrement au travail. Je ne l'ai pas connu en dehors de ce contexte, dans son environnement social, mais il était une de ces personnes, de ces artistes vrais, avec un coeur immense.»

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The Drop prend l'affiche aujourd'hui, en version originale seulement.