Belle était métisse. Et aimée d'un Blanc, alors que l'Angleterre georgienne était toujours au temps de l'esclavage. Les choses allaient commencer à changer. Un peu grâce à eux. Pour dire cette histoire, trois femmes noires: l'actrice Gugu Mbatha-Raw, la réalisatrice Amma Asante et la scénariste Misan Sagay. Voici «leur» Belle.

Tout a commencé en 2004, lorsque Misan Sagay, étudiante en médecine à l'Université de St. Andrews, en Écosse, est tombée en arrêt devant une toile représentant deux jeunes femmes. Une Noire et une Blanche. Sur un pied d'égalité, alors que les oeuvres datant de l'époque georgienne présentaient les Noirs, des esclaves, «comme des accessoires, posant un regard d'adoration ou de respect sur le maître», a raconté la scénariste lors de rencontres de presse tenues à New York.

L'injustice était quand même là. Le portrait, non signé (mais que l'on attribue à Zoffany, portraitiste des nobles et des riches), était intitulé The Lady Elizabeth Murray. Le nom de la blonde ingénue. Point. Pas celui de sa compagne. «J'étais la seule étudiante noire dans cette université et la voir, comme ça, c'était comme: «Hey, sister!» Mais, en même temps, j'ai été frappée par le fait qu'elle soit sans nom, donc sans voix. Ça me semblait injuste. J'ai voulu en savoir plus sur elle et sur son histoire.»

Elle a ainsi découvert Dido Elizabeth Belle (Gugu Mbatha-Raw), fille illégitime du capitaine de marine royale John Lindsay (Matthew Goode) et de l'esclave qu'il aimait. Après la mort de cette dernière, le jeune homme confia son enfant à son grand-oncle, Lord Mansfield (Tom Wilkinson), chef de la justice en Angleterre, celui dont on disait qu'il était la personne la plus puissante du royaume après le roi. Dans le foyer de ce dernier vivait aussi Lady Elizabeth Murray (Sarah Gadon), demi-cousine de Dido.

Belle et Bette ont ainsi grandi ensemble à une époque où l'économie de l'Empire britannique roulait beaucoup grâce à l'esclavage et où moins du tiers des Noirs vivant à Londres étaient libres. Survint alors, en 1781, le drame impliquant le négrier Zong, dont le capitaine avait noyé les 122 esclaves qu'il transportait. Ce qui était légal, et se justifiait (!) si se délester ainsi de la «marchandise» permettait de sauver le reste de ce que transportait le navire. Mais pour en arriver à une telle extrémité, le capitaine du Zong avait-il été victime de circonstances «malheureuses» ou fait preuve de négligence?

Pour juger ce cas dont l'issue changera le cours de l'Histoire, Lord Mansfield. Pour défendre les victimes, le jeune avocat John Davinier (Sam Reid). Qui, dans cet épineux contexte politique et social, rencontre Dido. Ils tombent amoureux alors que la jeune métisse est convoitée par la matriarche de la famille Ashford (Miranda Richardson), qui la verrait bien épouser un de ses fils. Pour sa fortune. Malgré (!) la couleur de sa peau.

L'inspiration, à côté

«Lady Ashford est inspirée de la mère de mon premier mari, dit en rigolant la réalisatrice Amma Asante. Quand je l'ai rencontrée, elle a dit à son fils quelque chose comme: «Elle est... belle, je pense. Mais elle est tellement noire!» Et on était en 1991, pas au XVIIIe siècle!»

Bref, Dido lui a parlé immédiatement. Tout comme ce que son histoire dit sur les classes sociales et les races, dont les frontières se «chevauchent» et débouchent sur un monde où tout n'est pas noir ou blanc. «Comme quand j'étais enfant. Nous étions la seule famille noire de la rue et nous étions harcelés pour cela, mais en même temps, nous étions les seuls à posséder notre maison.»

De telles «incongruités» ont contribué à faire d'Amma Asante quelqu'un qui s'intéresse «aux thèmes de l'identité, de la race, du genre, des classes», fait celle qui se qualifie en riant de «la quintessence de la réalisatrice britannique noire» et qui a commencé sa carrière, à l'adolescence, comme actrice à la télévision.

«J'y ai découvert que je n'aimais pas être devant la caméra ni être reconnue. J'ai tout lâché à 20 ans. De toute manière, et je ne dis pas cela par fausse modestie, j'étais une mauvaise actrice.»

Contrairement à sa vedette de Belle, Gugu Mbatha-Raw, mi-anglaise, mi-zulu, qui a joué Juliette face à Andrew Garfield en Roméo au Manchester's Royal Exchange Theatre, que l'on a pu voir dans la série Touch aux côtés de Kiefer Sutherland et que l'on verra cet été dans Jupiter Ascending des Wachowski.

«J'ai été attirée par le caractère universel de l'histoire de Dido. Tout le monde peut s'identifier au fait de ne pas se sentir à sa place dans le monde. On ajoute à cela une histoire d'amour follement romantique qui vous fait décoller les pieds du sol, et des enjeux sociaux importants... Comment dire non?», fait la comédienne qui, après avoir grandi avec les romans de Jane Austen et leurs adaptations au petit et au grand écran et avoir eu à rendre la langue de l'époque à plusieurs reprises sur les planches, s'est immédiatement sentie à l'aise dans le monde «formel et formaté par l'étiquette» de Dido.

Mais qui n'arrive toujours pas à croire que le destin de la métisse - raconté ici en tenant compte des faits, mais en prenant quelques libertés avec certains personnages - soit jusqu'ici resté inconnu. «Or, c'est une histoire qui doit être dite.» Trois femmes y ont vu.

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Belle prend l'affiche le 16 mai, en version originale anglaise seulement.

Les frais de voyage ont été payés par Fox Searchlight.