L'environnement dans lequel vivent des individus est une chose; la nature même de ces individus en est une autre. Las des clichés répandus à propos des autochtones, Robert Morin a décidé d'élaborer un film conceptuel «proactif».

Robert Morin ne fait rien comme les autres. Le lauréat du prix Albert-Tessier revendique d'ailleurs sa singularité. Et sa condition d'artiste. Il définit sa plus récente offrande, 3 histoires d'Indiens, comme un film conceptuel, élaboré comme le ferait un artiste peintre ou un musicien, plutôt que comme le ferait un «écrivain au service du cinéma».

«Le cinéma est trop souvent au service de la littérature, indique le cinéaste au cours d'un entretien accordé à La Presse. C'est d'ailleurs en fonction des scénarios écrits que tous les projets sont évalués. Les réalisateurs sont souvent des gens qui incarnent ces textes-là. On est plus près du théâtre que du cinéma. Je ne le déplore pas, remarque.

«Cette fois, j'ai eu envie de travailler comme un peintre ou un musicien. Je voulais prolonger une démarche déjà entreprise avec Les 4 soldats en empruntant un style plus contemplatif. Une fois l'idée du film trouvée, je suis allé chercher mes personnages. Et les acteurs qui pouvaient les incarner. Les histoires ne sont d'ailleurs pas du tout inspirées de la propre vie des jeunes.»

Une nouvelle génération

Comme le titre l'indique, 3 histoires d'Indiens met de l'avant trois histoires différentes, étalées sur quatre saisons. Comme dans tout bon film choral, ces histoires, qui suivent trois autochtones de la nouvelle génération, convergent vers un destin commun.

Il y a d'abord Erik (Erik Papatie), le plus bavard, qui bricole un émetteur télé en ramassant comme il le peut des composants disparates. Son intention est de rendre compte de ce qui se passe dans sa communauté.

Parallèlement, trois jeunes femmes versent dans la dévotion et la spiritualité en vouant un culte à la mémoire de Kateri Tekakwitha, autochtone élevée au rang de sainte par le pape Benoît XVI.

Puis, il y a Shayne (Shayne Brazeau), un jeune homme qui, en toutes circonstances, voit le monde au son des symphonies qu'il s'envoie à plein volume dans ses écouteurs.

«La musique classique dans un environnement complètement trash constitue un contrepoint extraordinaire, fait remarquer le cinéaste.

«En fait, c'est un peu comme si j'avais regroupé trois petits films expérimentaux qui, au départ, relèvent davantage du documentaire, mais qui glissent progressivement vers la fiction. J'ai même ajouté des affaires surréalistes pour faire écho à la dévotion des filles. J'adore ça.

«Il est difficile de se renouveler sur le plan des thèmes parce qu'ils correspondent toujours à notre vraie nature en tant que cinéaste. Mais on peut se renouveler à travers les structures qu'on emprunte. C'est ça qui est intéressant. Avec la dramaturgie contemplative, j'ai l'impression d'explorer une nouvelle voie, plus poétique que narrative. J'aime beaucoup. Comme je tourne avec très peu de moyens, j'ai l'impression de travailler davantage en artiste qu'en producteur!»

Propriétaire d'une «cabane» dans le bout de Maniwaki depuis plus de 30 ans, Robert Morin affirme avoir depuis toujours des atomes crochus avec la communauté autochtone des environs. Il compte en outre plusieurs amis là-bas. Au cours des quatre dernières années, il a traversé la réserve faunique La Vérendrye de très nombreuses fois afin de nourrir son film.

«J'étais un peu tanné de la façon dont on dépeint les autochtones aux nouvelles et dans les films, dit-il. Je voulais m'éloigner des clichés habituels. Le pire stéréotype associé aux autochtones, à mes yeux, est celui de gens amorphes, sans aucun rêve, sans aucune passion. C'est pourquoi j'ai choisi de montrer des jeunes proactifs, qui affichent des passions plus inattendues. Ce film-là est un work in progress qui a duré quatre ans!»

Sans filtre rose

Évidemment, Robert Morin n'est pas du genre à mettre un filtre rose devant sa caméra. La réalité brutale dans laquelle vivent les autochtones n'est pas escamotée, bien au contraire.

«Bien sûr, il y a des problèmes de violence, de dope, d'alcool, reconnaît le cinéaste. Mais pas davantage que dans Hochelaga-Maisonneuve. Ce sont des problèmes liés à la pauvreté. En revanche, il y a un esprit de solidarité et d'entraide chez les autochtones qu'on ne retrouve pas toujours chez les Blancs. J'ai voulu montrer des jeunes proactifs, oui, mais sans édulcorer les affaires. Ce sont des gens qui vont au bout de leur passion, peu importe ce qui arrive, même si elle peut se révéler destructrice pour eux. Je ne voulais surtout pas sombrer dans la démagogie. Ni suggérer quoi penser au spectateur.»

Le film 3 histoires d'Indiens a été fabriqué très modestement. Le budget s'élève à environ 150 00 $. Une campagne de financement a été organisée afin d'assurer la postproduction. Le cinéaste a d'ailleurs investi dans son film la moitié de la bourse de 30 000 $ que lui a value l'attribution du prix Albert-Tessier, remis par le gouvernement du Québec.

«C'est à ça que ça sert, les prix! fait remarquer Robert Morin. Je n'ai pas besoin d'une tape dans le dos. Mon ego est assez bon. Je vais dans les festivals uniquement quand il y a une bourse associée à un prix. Sinon, c'est inutile. Moi, tout ce que je veux, c'est continuer à travailler. Pour ça, ça prend des sous, même si, dans mon cas, je n'en ai pas besoin de beaucoup pour faire un film. Mes films, ce sont des patentes. Je fais de grands efforts pour qu'ils ne ressemblent à rien d'autre. J'aime ça, me faire peur. Les films commerciaux m'intéressent rarement en tant que spectateur. Et je n'ai pas du tout envie d'en faire.»

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> Le film 3 histoires d'Indiens prend l'affiche le 11 avril.