Faisant écho à une marche ayant déclenché tout un mouvement antiraciste il y a 30 ans, le film de Nabil Ben Yadir arrive à un moment où la France traverse une crise un peu «compliquée».

Quand il s'est lancé dans le projet de La Marche, le réalisateur belge Nabil Ben Yadir (Les barons) était loin de se douter que son film sortirait au beau milieu d'une période aussi sensible. Alors que les élans d'intolérance de toute nature s'expriment haut et fort dans les rues de France, que des discours racistes, homophobes ou sexistes sont relayés avec un sans-gêne honteux, voilà qu'arrive un film faisant écho à des valeurs de respect, de dignité et de compréhension mutuelle.

«On pourrait dire que La marche arrive à point nommé, a admis le cinéaste au cours d'un entretien accordé récemment à La Presse. Mais je n'en suis pas si certain. En France aujourd'hui, c'est très compliqué. Le sujet est sensible et suscite un rejet immédiat auprès de certaines personnes. Au moment de la fabrication du film, je n'avais pas du tout conscience de la tension qui anime la société française actuellement. En même temps, ça prouve qu'un film comme celui-là doit exister.»

Quelques événements - heureusement isolés - ont d'ailleurs perturbé quelques projections là-bas. Le cinéaste ne cache pas son dégoût quand il évoque le souvenir de spectateurs qui ont applaudi lorsque le héros de l'histoire, d'origine arabe, est victime d'une bavure policière et se fait tirer dessus. Des échanges d'insultes entre spectateurs ont suivi.

«J'aurais préféré que le film sorte à un moment plus calme, indique Nabil Ben Yadir. Mais on n'y peut rien. D'une certaine façon, cela fait aussi partie de la magie du cinéma. Et puis, la vaste majorité des gens qui voient La marche l'apprécient. Mais la société française est tellement polarisée aujourd'hui qu'il ne faut guère se surprendre de ce genre de dérapage.»

Au moment de cet entretien, Nabil Ben Yadir appréhendait en outre les résultats des élections municipales qui ont eu lieu dimanche dernier. La victoire de la droite a été pratiquement sans appel et le parti du Front national, qui prône des idées radicales, a réalisé une percée spectaculaire. Autrement dit, les appréhensions du cinéaste étaient fondées.

La non-violence en guise de réponse

La marche est un film inspiré d'un événement réel, survenu il y a 30 ans. À la suite d'une bavure policière dont il a été victime, un jeune Français d'origine arabe décide de répondre par la non-violence. Impressionné par Gandhi, qu'il venait de découvrir au cinéma grâce au film de Richard Attenborough, le jeune Toumi a réussi à mobiliser son milieu. Une marche pacifique «pour l'égalité et contre le racisme» a été organisée entre Marseille et Paris. À l'arrivée de cette marche, qui s'est tenue du 15 octobre au 3 décembre 1983, plus de 100 000 personnes étaient de la partie.

«La coscénariste Nadia Lakhdar est venue me voir pour me parler du sujet d'un film sur lequel elle était en train de travailler, explique Nabil Ben Yadir. Elle ne parvenait pas à monter le projet. J'ai trouvé le sujet fascinant. Je lui ai même suggéré de travailler avec elle un nouveau scénario, que nous réécririons à partir de zéro. Comme bien des gens de ma génération, je ne connaissais pas cette histoire. J'avais 4 ans à l'époque. Au-delà de l'aspect politique, je trouvais aussi le sujet très attirant sur le plan cinématographique.

«En parlant avec des marcheurs de l'époque, ajoute-t-il, en faisant des recherches et en creusant le sujet, je me suis vite rendu compte que cet événement était bien davantage qu'une ''marche des Beurs''. Les médias l'avaient affublée de ce titre réducteur. Et c'est resté. Pour moi, la seule manière envisageable de faire ce film était d'emprunter une approche toute simple, sans didactisme aucun.»

Investis d'une mission

Malgré le caractère modeste de l'entreprise, Nabil Ben Yadir a pu compter sur les acteurs dont il rêvait pour porter cette histoire à l'écran. Autour de Tewfik Jallab, qui incarne le jeune héros de l'histoire, gravitent les compatriotes du cinéaste Olivier Gourmet et Lubna Azabal (Incendies), de même que Charlotte Le Bon, Vincent Rottiers, sans oublier Jamel Debbouze. L'arrivée de ce dernier, à la toute dernière minute, a rassuré des financiers inquiets.

«Jamel était interpellé par le sujet, fait remarquer le cinéaste. D'ailleurs, il avait déjà eu l'envie de faire un film en s'inspirant de cette histoire. À vrai dire, tout le monde s'est senti investi d'une mission. Et tous les ego ont été mis de côté afin de bien servir le film. J'ai été ouvrier. J'ai travaillé sur une chaîne de montage et j'ai des amis qui bossent toujours à l'usine. Je sais la chance que j'ai de faire du cinéma. Pour moi, le cinéma doit avoir une fonction sociale. Je ne me verrais pas tourner une comédie musicale. Je n'ai rien contre le genre, remarquez. C'est très bien pour s'évader. Mais je n'ai pas envie de faire un film pour que les gens s'évadent. J'ai plutôt envie que les gens réfléchissent»

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La Marche prend l'affiche le 11 avril.

Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.