La taille d'une entreprise n'est pas toujours garante de la grandeur de ses ambitions, ou de son influence. C'est le cas de Raynault VFX, modeste studio d'effets visuels situé dans une rue résidentielle du Plateau Mont-Royal, doté d'à peine une demi-douzaine d'employés, qui collabore pourtant régulièrement à des projets hollywoodiens d'envergure.*

La boîte montréalaise a décroché, au début de 2013, un des contrats les plus prestigieux de sa jeune existence: la création d'environnements virtuels pour le long métrage Noah, une production américaine de quelque 150 millions mise en scène par Darren Aronofsky, qui a pris l'affiche vendredi.

«Ce fut un honneur de travailler là-dessus», a affirmé à La Presse Mathieu Raynault, fondateur et directeur artistique de l'entreprise éponyme, qui retrouve le cinéaste visionnaire après avoir collaboré à son épopée philosophico-mystique The Fountain (2006). Les deux hommes se sont rencontrés à deux reprises dans les bureaux d'Aronofsky, à Brooklyn, l'année dernière.

La majeure partie des effets visuels de Noah a été prise en charge par Industrial, Light&Magic (ILM), le mythique studio fondé par George Lucas, qui a animé les animaux passagers de la fameuse arche, ainsi que le déluge.

«Mais le côté planète déchue, ils nous ont laissé ça, précise Raynault. J'aime bien le commentaire environnemental. C'était dans notre mandat; la déchéance de l'humanité.»

Spécialisée dans le matte painting, une technique qui consiste à dessiner des décors et arrière-plans numériques photoréalistes, l'équipe montréalaise a conçu en tout 28 plans répartis en cinq séquences. Une de celles-là se nomme «Ila's Mine», une vallée désolée qui a été filmée en Islande, à travers laquelle déambulent Noé (Russell Crowe) et sa famille.

«Lors du tournage, on y avait déjà mis un peu de déchets, mais il fallait les augmenter, les modifier. On a brisé le terrain, on a rendu ça un peu plus "carrière". On a ajouté des tuyaux de pipeline, pour donner ce look de mine abandonnée», décrit Raynault, qui s'est notamment inspiré de l'oeuvre d'Edward Burtynsky, photographe canadien célébré pour ses clichés de paysages industriels aux allures d'un autre monde.

Dans ses instructions, Aronofsky a insisté pour cultiver l'ambiguïté de l'information visuelle, question de subvertir les attentes et de donner une saveur inédite à un conte biblique archiconnu. 

Ce caractère intentionnellement vague peut du reste se lire dans les cieux de Noah. «Il y a des nuages, un côté terrestre, mais il y a aussi des constellations, ou des nébuleuses, que tu ne verrais pas en pleine journée à l'oeil nu», explique Raynault, qui a soumis plus de 20 versions de ciels au cinéaste notoirement méticuleux.

«Rain»

À vrai dire, le niveau de réalité dans le film est demeuré un facteur inconnu pour l'équipe montréalaise, qui n'a pas eu accès au scénario, ni même obtenu le droit de prononcer son titre parmi son entourage. Jusqu'à la sortie de la première bande-annonce de Noah, en novembre, on ne pouvait faire référence au projet que par le nom de code «Rain».

«Il y a un côté sécurité un peu freak dans les grosses productions américaines, admet Raynault, qui a été contraint de signer un accord de non-divulgation pour Noah. Sur une production française comme La Belle et la Bête, disons qu'il y a pas mal moins de stress!»

Ruche d'abeilles

Mathieu Raynault a commencé sa carrière de matte painter au haut de l'échelle, grâce à des piges chez ILM (Star Wars: Episode IIGangs of New York) et le géant néo-zélandais Weta Digital (The Lord of the RingsKing Kong). 

De retour à Montréal, il cofondé le studio Rodeo FX, qui est devenu une destination de choix pour divers blockbusters (Terminator SalvationTwilight, Immortals).

L'aventure en solo pour Raynault a débuté en avril 2011. Alors que l'industrie des effets visuels connaît un boom colossal à Montréal, avec des entreprises d'au-delà de 100 employés qui y poussent comme des champignons, séduites par l'appât de crédits d'impôt fort avantageux, il a préféré opter pour la sobriété, s'entourant d'une poignée de pairs issus du Centre NAD, la réputée école d'animation en 3D située dans l'île.

«Small is beautiful, aime à dire Raynault. On est comme une petite ruche d'abeilles, on est polyvalent, tout le monde peut toucher à tout. Pas de longs meetings ici, on est trop occupés à créer!

«On a plein de beaux contrats à notre échelle. Ce n'est pas parce que t'es petit que tu vas juste faire des petits films.»

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

Le directeur artistique Mathieu Raynault, entouré de ses artistes 3D Sylvain Théroux (compositing senior), Fanny Berthiaume et Stéphanie Morin (toutes deux matte painters).

* Raynault VFX - Filmographie

Jupiter Ascending, de Andy et Lana Wachowski (en cours)

Noah

La Belle et la Bête

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This Is The End

Elysium

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