Marilyn Castonguay lisait un livre sur les témoins de Jéhovah quand on a sonné à sa porte. C'était tôt le matin, à la fin de l'hiver dernier. Elle venait d'obtenir un premier rôle dans Miraculum, le film de Daniel Grou (alias Podz) qui ouvre ce soir les Rendez-vous du cinéma québécois. L'actrice, encore en peignoir, a ouvert la porte. Deux témoins de Jéhovah se tenaient debout devant elle. Si l'actrice de 29 ans ne s'était pas retenue, elle les aurait embrassés.

Dans Miraculum, Marilyn incarne une infirmière témoin de Jéhovah en couple avec Xavier Dolan, qui partage ses convictions religieuses. Or, cela faisait des semaines que l'actrice cherchait un moyen discret de se rapprocher des gens de cette croyance. Dire qu'ils venaient de sonner à sa porte et de l'inviter à une de leurs réunions!

«J'y suis allée, raconte-t-elle un an plus tard. Au début, c'était chaleureux, accueillant, je me sentais bien, mais à mesure que la soirée avançait, le discours a changé. Les témoins de Jéhovah sont beaucoup dans l'après, dans la préparation de leur mort, et ce que j'ai trouvé le plus troublant, c'est quand ils se sont adressés aux enfants présents dans la salle en leur demandant s'ils avaient hâte. Hâte à leur mort! Comment peut-on demander ça à des êtres qui viennent à peine de commencer leur vie?»

Il y a un peu moins de deux ans, le public québécois découvrait le petit visage et le grand talent de Marilyn Castonguay dans L'affaire Dumont, où elle incarnait le personnage de Solange, la compagne de Michel Dumont. Un personnage de femme forte et convaincue de l'innocence de son homme, malgré les accusations d'agression sexuelle qui pesaient contre lui.

«Une fille des régions»

Je ne sais pas si je suis la seule du lot, mais en voyant Marilyn incarner Solange à l'écran, je l'ai prise pour une vraie madame égarée au cinéma, pas pour une actrice professionnelle. Ironiquement, c'est le plus beau compliment qu'on puisse faire à une actrice. Marilyn l'accepte, mais en y apportant une nuance. «En fait, ce n'était pas un rôle si éloigné de moi, dit-elle dans un café du Vieux-Montréal. D'abord, je suis une fille des régions. J'ai passé toute mon enfance et mon adolescence à L'Isle-aux-Coudres. La façon dont Solange parle, ça m'appartient un peu. C'est comme ça que je parle dès que je retourne chez mes parents.»

En rencontrant Marilyn Castonguay, la fille d'une infirmière et d'un marin tous les deux descendants d'une longue lignée de natifs de L'Isle-aux-Coudres, on comprend assez vite pourquoi, à peine sortie de l'École nationale de théâtre en 2010, elle n'a pas dû attendre longtemps à côté du téléphone, comme beaucoup de jeunes diplômés.

Elle n'a pas attendu du tout, en fait: elle a obtenu des rôles dans la série Vertige, dans une émission pour enfants et au théâtre, avant d'être convoquée à une audition pour un film réalisé par Podz, un réalisateur dont elle n'avait jamais entendu parler. Pourquoi elle plutôt qu'une autre? Sans doute grâce à son charisme, sa simplicité, sa chaleur, sa sensibilité faite de doute, d'humilité et de curiosité. À bien des égards, Marilyn ressemble à une jeune Guylaine Tremblay, et ce ne serait pas surprenant qu'elle établisse le même genre de connexion avec le public.

Quatre auditions

Dans Miraculum, son visage impassible, sur lequel les émotions s'impriment dans toutes les nuances, crève l'écran. Pourtant, obtenir le rôle n'a pas été facile, même si elle connaissait bien le réalisateur.

Non seulement Marilyn Castonguay, finaliste du Jutra de la meilleure actrice pour son interprétation de Solange, a passé une audition comme les autres, mais elle a été rappelée trois autres fois, signe qu'un doute subsistait sur sa capacité à incarner une témoin de Jéhovah.

«J'ai failli ne pas aller à la quatrième audition. J'étais découragée et je ne voyais vraiment pas ce que je pouvais apporter de plus. J'avais le sentiment d'avoir tout donné ce dont j'étais capable.»

Marilyn s'est finalement rendue à cette ultime audition, mais non sans avoir consulté une amie actrice qui avait grandi chez les témoins de Jéhovah. De toute évidence, ses conseils ont été précieux, puisque Marilyn a obtenu le rôle qu'elle incarne avec une grande justesse.

La crainte d'être trop vue

Le tournage de Miraculum, un film choral tournant autour d'un écrasement d'avion et de la vie de ses passagers avant la catastrophe, a eu lieu au printemps dernier. Presque en même temps, Marilyn tournait sous la direction de Jean-Sébastien Lord dans L'ange gardien, un rôle de mère délinquante aux antipodes de celui de l'infirmière.

Le film sera lancé aux Rendez-vous du cinéma québécois, de même que deux autres courts métrages où elle tient un rôle. Décidément, les cinéastes aiment Marilyn Castonguay. Pas seulement les cinéastes. L'actrice a passé l'automne sur les planches au théâtre dans Villa Dolorosa et dans Les champs pétrolifères, au théâtre Espace Go. Le mois prochain, on la retrouvera au Quat'Sous, dans Testament, l'adaptation du roman de la jeune poétesse Vickie Gendreau, qui a succombé à un cancer du cerveau en mai dernier.

Or, comme toute jeune actrice un peu anxieuse, Marilyn a peur qu'on la voie trop, qu'on se lasse d'elle, et se demande si elle ne devrait pas laisser la place aux autres. En même temps, c'est avec une pointe d'anxiété qu'elle m'annonce qu'à partir d'avril, elle n'a plus rien à l'horaire. Manifestement, ça l'angoisse un peu. Du coup, elle se demande à la blague si elle ne va pas reprendre son vieux job de serveuse.

Pendant ses quatre années à l'École nationale, Marilyn a travaillé tous les samedis au Soupesoup de la rue Saint-Viateur, qui a fermé depuis. Or, même en obtenant ses premiers rôles, elle a mis plusieurs mois avant de lâcher son job.

«Tant que je ne suis pas sûre à 100% de quelque chose et que je ne sais ce que je dois faire, je ne bouge pas. C'est mon grand défaut, je ne prends pas de risques. Quand je le sais, par contre, je le sais en maudit», confie-t-elle avec un sourire.

On sent la fille de L'Isle-aux-Coudres refaire surface, celle qui voulait devenir danseuse et qui se passionnait pour la gigue irlandaise, celle qui passait ses soirées d'été avec ses amis à faire des feux sur la grève ou des tours de machine autour de l'église.

Cette Marilyn-là n'est jamais très loin de l'autre, l'actrice qui disparaît derrière son personnage au point d'en être méconnaissable et qui, d'un film à l'autre, nous ouvre une fenêtre sur des femmes dont on ne soupçonnait pas toujours l'existence.

Si, d'ici avril, un nouveau projet ne se pointe pas dans sa vie, Marilyn Castonguay se promet de partir en voyage à New York, Londres ou San Francisco. Elle prendra l'avion en essayant de ne pas trop penser aux écrasements, mais au rythme où vont les choses dans sa carrière, les avions devront probablement attendre. Les écrasements aussi.