Nelson Mandela a eu un impact sur des millions de personnes. Parmi elles, Justin Chadwick: en entrevue avec La Presse à la mi-novembre, le réalisateur britannique se disait changé à jamais par l'expérience qu'il a vécue au fil de ce long fleuve pas tranquille qu'a été la création de Mandela: Long Walk to Freedom. Une épopée qui a duré 17 ans et qui arrivera à bon port le 25 décembre, alors que le film prendra finalement l'affiche.

Le producteur sud-africain Anant Singh est à l'origine de cet imposant biopic qui suit Nelson Mandela de son enfance à son élection à la présidence de l'Afrique du Sud. C'est à lui, parce qu'il le connaissait et le respectait, que le champion de la lutte contre l'apartheid a cédé les droits de son autobiographie.

Parue en 1994, Long Walk to Freedom est une somme d'informations. Un point de départ riche. Très. «Plusieurs films pouvaient en être tirés», indique Justin Chadwick (The Other Boleyn Girl), qui a choisi un point de vue: «Raconter l'homme derrière le héros, le leader politique, le fantastique orateur, l'avocat brillant. L'homme qui aimait les femmes, les belles voitures, les vêtements. L'homme qui pratiquait la boxe et était dans une forme physique formidable.»

C'est au scénariste William Nicholson (Shadowlands, Les misérables) qu'est revenue la mission d'extraire cet «homme» du livre. Un travail de débroussaillage, puis d'architecture. Un peu comme une carte qui a servi au réalisateur lors de sa propre quête. Parce que porter Nelson Mandela à l'écran exigeait plus que des mots sur le papier.

En guise de préparation, Justin Chadwick a passé une année en Afrique du Sud - où il tournerait plus tard le long métrage. Il a marché dans les pas du leader sud-africain. Il a observé et écouté. Il a posé des questions. Il a rencontré la famille de Mandela, ses proches, ses compagnons de détention sur Robben Island (où Mandela a passé 18 de ses 27 années d'emprisonnement), ses geôliers et interrogateurs. Et, un jour, LE tête-à-tête ultime.

Rencontre électrisante

«J'ai eu la chance de rencontrer Nelson Mandela en personne juste avant le début du tournage, un peu avant son 94e anniversaire. Nous avons pris le thé. Je n'ai pas les mots pour dire l'électricité qui émanait de lui. Je comprends pourquoi tout le monde me disait qu'en entrant dans une pièce, il devenait le centre de l'attention. En même temps, il était chaleureux et relax. Nous avons regardé des photos. Il savait qui était qui, où et quand. Il me racontait ces images, ses yeux dans les miens. Il était très vif, alerte.»

À travers ces recherches, au-delà de l'aura et de l'Histoire, l'homme a émergé de la légende. La quête de Justin Chadwick débouchait. «Il est devenu une icône politique, mais cela s'est fait à prix fort. Un prix qu'ont payé le mari, le père, le grand-père. Le film que je voulais faire parlerait donc de politique, bien sûr, mais aussi de ce prix. D'humanité. D'amour et de pardon.»

Pour porter tout cela, le réalisateur avait un acteur en tête. Un acteur qui n'était pas alors une vedette. Idris Elba. L'intense Stringer Bell de la série The Wire. Le grand public l'a découvert dans Thor, Prometheus et autres Pacific Rim, mais à l'époque, le choix de Justin Chadwick a surpris les producteurs. «Ils s'attendaient à ce que je propose une star du grand écran. Quand j'ai évoqué Idris, ils m'ont répondu: «Qui?» Et en voyant des photos, ils m'ont dit: «Mais il ne ressemble pas à Mandela!» »

C'est un fait, mais ce n'était pas ce que recherchait le réalisateur. «Je voulais quelqu'un de qui il émanerait le même genre d'énergie, le même charisme, la même force tranquille. Idris possède tout cela. Il a non seulement accepté immédiatement, mais dès qu'il a eu le rôle, il a voulu m'accompagner en Afrique du Sud, lire, parler aux témoins de l'histoire de Mandela.»

Le calvaire de Winnie

Aux côtés d'Idris Elba, Justin Chadwick a placé Naomie Harris (Skyfall), qu'il avait dirigée dans The First Grader et qu'il imaginait aisément incarner Winnie Madikizela. Les deux acteurs forment à l'écran un couple spectaculaire. Il en allait de même pour les Mandela. «Ils devaient être extraordinaires ensemble», dit simplement le réalisateur, songeur, comme propulsé dans le passé. Celui de l'homme, mais aussi, celui de la femme. Winnie. Controversée. Haïe ou adulée. Dont il a aussi fouillé les faits et gestes. L'histoire.

«Je l'ai rencontrée à plusieurs reprises, et il y avait toujours des enfants autour d'elle. Je pouvais sentir son amour pour eux, raconte le réalisateur. Or, quand elle était jeune, cette femme qui adore les petits était arrêtée à répétition, enlevée à ses filles qui, elle le savait, n'auraient personne pour s'occuper d'elles pendant sa détention. Elles rentraient de l'école et la maison était vide. Elles ignoraient quand et si elles reverraient leur mère un jour.»

Un cauchemar psychologique qui s'ajoutait aux tourments physiques. «J'ai regardé beaucoup de documents d'archives et j'ai vu ces images de Winnie après son incarcération de 16 mois en isolement total. J'ai vu cette femme brisée, agressée, raconte-t-il. Les conditions de détention étaient terribles pour les hommes sur Robben Island, mais ils pouvaient compter les uns sur les autres. C'est ce qu'ils m'ont dit, c'est comme cela qu'ils ont survécu. Winnie, elle, était non seulement seule, mais quand elle sortait de prison, elle vivait à Soweto et elle côtoyait le racisme, le chaos, les atrocités.»

Justin Chadwick n'a aucun doute que cela a contribué à faire Winnie. Que cela l'a modelée en cette femme controversée dont Nelson Mandela a divorcé en 1996. Leurs longs chemins vers la liberté avaient pris des directions différentes.

_________________________________________________________________________________

L'entrevue a été réalisée à la mi-novembre, avant la mort de Nelson Mandela.

Mandela: Long Walk to Freedom (Mandela: un long chemin vers la liberté) prend l'affiche le 25 décembre. Les frais de voyage ont été payés par Les Films Séville.