En 1944 à l'Université Columbia, Allen Ginsberg rencontre Jack Kerouac, William S. Burroughs et Lucien Carr. Ce dernier tuera. Et provoquera ce qui pourrait être l'étincelle qui a allumé la Beat Generation.

«In writing, you must kill all your darlings», conseillait William Faulkner.

«Dans l'écriture, vous devez tuer tous ceux que vous aimez.» La célèbre citation est devenue le titre du premier long métrage de John Krokidas, qui met en vedette Daniel Radcliffe dans la peau du poète Allen Ginsberg et relate une page sombre qui a précédé - ou provoqué - la naissance de la Beat Generation.

Par ce titre, le cinéaste voulait revenir sur ces années formatrices où «vous sortez de l'adolescence, vous rencontrez ces gens plus populaires, charismatiques et beaux que vous, qui vous prennent sous leur aile, élargissent vos horizons et, c'est là toute l'ironie de la chose, désirent que vous grandissiez... pourvu que vous ne les dépassiez pas. Pour devenir entièrement vous-mêmes, pour trouver votre propre voix, vous devez donc tuer ceux que vous aimez». Artistiquement parlant, bien sûr.

C'est ce qu'ont fait les Ginsberg, Kerouac, Burroughs. Lucien Carr, lui, est passé concrètement à l'acte. Il a tué. Pour ensuite se taire. Son histoire est restée dans l'ombre jusqu'à sa mort, en 2005. Ainsi, And the Hippos Were Boiled in Their Tanks, roman écrit à quatre mains par Kerouac et Burroughs, qui relate le drame, n'a été publié intégralement qu'en novembre 2008. Il datait de 1945.

Bref, nous sommes en 1944. Allen Ginsberg entre à l'Université Columbia où il rencontre Kerouac et Burroughs. Et Lucien Carr. À qui, des années plus tard, il dédiera Howl. Dédicace qui disparaîtra dans les éditions suivantes. À la demande de Carr dont Kill Your Darlings relate d'ailleurs beaucoup l'histoire.

Relation malsaine

Très jeune, alors qu'il faisait partie des scouts, le garçon a rencontré un certain David Kammerer. Une relation très intime s'est liée entre les deux. L'enfant victime de l'adulte. Mais la relation s'est poursuivie. L'un rompant avec l'autre. Et vice-versa. Revenant. Repartant. «C'était une relation malsaine qui ne pouvait que mal finir», a commenté Michael C. Hall dans une entrevue accordée à La Presse pendant le TIFF.

Pour la star de Dexter, interprète du prédateur sexuel et/ou victime de Lucien Carr (Dane DeHaan) qui l'a poignardé à mort, il ne fait aucun doute que le point d'orgue de cette relation a été fondateur pour les artistes que sont devenus Ginsberg, Kerouac et Burroughs.

Ayant traversé une période de fascination pour la Beat Generation - il peut d'ailleurs réciter de mémoire de longs extraits de Howl - , il n'a pas hésité quand son agent lui a présenté le scénario, en lui disant que «c'en est un bon».

«John et moi avons travaillé plus de quatre ans pour faire financer le projet», se souvient pour sa part Daniel Radcliffe. John Krokidas avait remarqué le jeune acteur lorsqu'il présentait Equus sur Broadway. «J'ai vu quelque chose de différent en lui et je lui ai proposé le rôle même si tout le monde me disait que c'était une erreur, que personne ne verrait en lui quelqu'un d'autre que Harry Potter», note le réalisateur.

Qui n'en a fait qu'à sa tête. Au plus grand bonheur de Daniel Radcliffe. Qui adore la poésie et les lettres. Qui écrit. Et qui était prêt à changer de registre. D'accord, Ginsberg porte des lunettes comme un certain sorcier. Et, dans la scène d'ouverture du film, il danse... avec un balai. «Mais, je vous jure, je n'avais pas fait de rapprochement avec Harry avant qu'on m'en parle en entrevue», lance-t-il avec un rire contagieux.

Affable

Passer un moment en sa compagnie est toujours réjouissant. Il est allumé, exubérant. Généreux. «Ne vous inquiétez pas, ça ne comptera pas sur votre temps!», lancera-t-il en début d'interview après avoir pris quelques minutes pour parler sport avec un relationniste - «Je suis fou du football américain.»

Ces qualités, John Krokidas en a bénéficié: «Dan voulait traiter ce film comme si c'était son premier, oublier tout ce qu'il avait appris par le passé et repartir à neuf avec moi. Il m'a fait entièrement confiance, même si je n'avais pas réalisé de films avant. J'ai trouvé ça poignant.»

«En fait, je n'ai jamais eu l'impression de travailler avec un réalisateur débutant, assure Daniel Radcliffe. John est compétent, charmant, agréable et il est très facile d'avoir confiance en lui.»

Le grand défi, pour lui, était la durée du tournage. Vingt-trois jours. Et, pour lui, un arc dramatique très important. Allen Ginsberg est à peine sorti des jupes de sa mère au départ. À l'arrivée, il aura expérimenté drogues, alcool, relations homosexuelles, amitiés de feu et de flammes. Et les lettres, les mots, la langue. Qu'il fera siens.

«À neuf scènes tournées par jour, il fallait que je sache en tout temps où et dans quel état d'esprit se trouvait le personnage», se souvient l'acteur. Celui-ci pense que Ginsberg, «même avant ses débuts, était très conscient de son potentiel intellectuel. À une époque où il paraissait timide et réservé, il a écrit qu'il changerait le monde - simplement, il ne savait pas encore comment. Mais il se savait spécial et différent.»

Et c'est ce qu'est peut-être Daniel Radcliffe. Spécial et différent. Mais il ne le fait jamais sentir à ses interlocuteurs.

> Kill Your Darlings prend l'affiche le 8 novembre.