Au moment où l'on discute beaucoup de religion et d'égalité hommes-femmes, que dire des femmes juives hassidiques?

Avec leurs perruques, leurs nombreux d'enfants, leur air grave et leurs grossesses à répétition, leur présence nous rappelle tout ce que le Québec a voulu dynamiter avec la Révolution tranquille.

Bien que juif de naissance, Abbey Jack Neidik avait à peu près les mêmes idées reçues sur ces citoyennes silencieuses. Mais après les avoir suivies pour son nouveau documentaire, présenté ce soir et dimanche au cinéma Outremont, il a progressivement changé d'opinion. Un cheminement improbable qui s'est étiré sur près de trois ans.

«Moi aussi, j'avais des idées préconçues, raconte le réalisateur montréalais, rencontré entre deux synagogues, dans un café du Mile End. Mais ce que j'ai découvert est tout le contraire de ce à quoi je m'attendais. À force de marcher dans leurs pas, j'ai été frappé par leur profondeur et leur vitalité.»

Shekinah - La vie intime des femmes hassidiques se concentre sur une demi-douzaine de jeunes femmes de la communauté loubavitch, considérée comme une branche plus progressiste du hassidisme.

On les suit à New York, dans les rues de Montréal et surtout à Sainte-Agathe-des-Monts, où elles suivent un séminaire de fin d'études qui doit les préparer à la «vraie vie».

Témoignages étonnants

Tour à tour, elles parlent de leurs rêves, de leurs aspirations et de leur rapport à la religion. Puis, au fur et à mesure que le film avance, elles se confient sur la question du mariage et de la sexualité. Où l'on apprend, entre autres choses, qu'elles n'ont jamais touché un garçon et qu'elles ne savent rien du joyeux monde des abeilles et des fleurs, si ce n'est que ce qui se passe sous les draps est sacré au sens mystique du terme.

Leurs témoignages sont étonnants. Plus étonnant encore est le fait qu'elles se dévoilent aussi généreusement à la caméra. Les communautés juives ultra-orthodoxes ont la réputation d'être plutôt fermées et très sensibles à la division hommes-femmes. Que ces jeunes filles se confient ainsi à un cinéaste, non orthodoxe et de sexe masculin de surcroît, est, pour emprunter un mot cher au judaïsme, miraculeux.

Présenté à la communauté de façon un peu accidentelle (il a commencé en filmant un spectacle à Sainte-Agathe, pour une amie convertie), Neidik s'étonne lui-même d'avoir eu un accès aussi privilégié à un monde réputé inaccessible.

Son approche discrète, patiente et respectueuse lui a probablement permis de gagner la confiance de ses protagonistes. Mais leur ouverture est quand même surprenante, l'une d'entre elles, fraîchement mariée, allant même jusqu'à lui raconter sa nuit de noces!

Cette générosité n'a toutefois pas plu à tout le monde.

Après avoir montré le film à des rabbins, Neidik a dû négocier le retrait de certaines scènes, où l'on voyait notamment les jeunes femmes chanter et danser. À nos yeux, rien de grave. Mais pour les hassidim, certains rituels ne peuvent tout simplement pas être montrés.

«Même le rabbin Bernath [NDLR: aussi dans le film] nous a avoué qu'il n'avait jamais vu ces choses-là", raconte Irene Lilienheim Angelico, compagne de Neidik et productrice du documentaire.

Neidik se défend toutefois d'avoir manqué de liberté éditoriale. Malgré certains compromis («contournés de façon créative», dit-il), son film n'est en rien un outil de promotion pour la communauté.

Cela dit, il admet que les propos de ces jeunes femmes l'ont amené à réfléchir. Leur vision mystique de la sexualité n'est certes pas courante. Les tenants de la laïcité n'y verront sans doute qu'un autre lavage de cerveau visant la soumission des femmes. Mais Abbey Jack Neidik, quant à lui, préfère ne pas juger.

Après trois ans de tournage, à fréquenter cette communauté en marge, le cinéaste considère simplement que ces femmes ont un autre regard sur le monde. Un regard dont nous pourrions peut-être nous inspirer, dans notre quête effrénée de sens et de consommation.

«Ce cadre métaphysique leur permet d'avoir une vie intime parfois plus intense et plus riche. Dans un monde aussi matérialiste que le nôtre, disons que cette énergie et cette grande spiritualité peuvent nous apprendre certaines choses», souligne Neidik.

Difficile toutefois de ne pas douter devant autant de certitudes absolues.

À la moitié du film, lorsque le cinéaste la cuisine sur ses ambitions («Tu pourrais devenir une vedette de cinéma si tu le voulais vraiment, non?»), Chaya, lumineuse jeune femme de 19 ans, répond que rien au monde ne pourra remplacer la merveilleuse vie familiale et spirituelle qui l'attend. «Je veux me marier et avoir 12 ou 13 enfants», dit-elle, avec des étoiles dans les yeux. «Dieu m'a donné un utérus, c'est pour m'en servir.»

Sera-t-elle désillusionnée dans 10 ans? L'avenir le dira.

Qui sont-ils

On les connaît peu et, pourtant, ils sont de Montréal. Bien connus sur la planète documentaire, Abbey Jack Neidik et Irene Lilienheim Angelico poursuivent depuis 30 ans une fructueuse carrière aux ramifications internationales. Leur premier film, Dark Lullabies (1980), portant sur les répercussions familiales de l'Holocauste, est considéré comme l'un des 50 meilleurs documentaires de tous les temps, selon l'International Salute to Documentary. Ils ont depuis tourné plus de 70 films, sur des sujets aussi variés que les deux solitudes, l'adoption en Roumanie, l'envers des grands magazines et le tennis féminin. Neidik tourne actuellement SpaceRace2, film sur la privatisation du cosmos, et An Ill Wind, sur l'industrie éolienne.

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Shekinah - La vie intime des femmes hassidiques est présenté aujourd'hui et dimanche au cinéma Outremont; les projections seront suivies d'une discussion. Le film prendra l'affiche le 28 octobre au cinéma du Parc. Le 3 novembre, Abbey Jack Neidik, le rabbin Ysroel Bernath et Chanie Carlebach, fondatrice du séminaire pour filles de Sainte-Agathe, participeront à un échange autour du film, dans le cadre de l'événement Le Mood, à l'Espace Réunion (http://www.lemood.ca/).