Au terme d'un échange de questions et de réponses par courriels avec La Presse, la documentariste Helen Doyle cite le cinéaste et photographe Raymond Depardon: «La photographie donne à voir des choses dures, des choses belles, une réalité adoucie ou plus violente. Son «instant décisif est trompeur, il n'est qu'un moment. [...] On a besoin de savoir qui était l'opérateur, quelle était son enfance, quelle était son injustice...»

Ces mots de M. Depardon s'inscrivent parfaitement dans la démarche du plus récent documentaire de Mme Doyle intitulé Dans un océan d'images. Son film cherche à trouver un sens aux innombrables images auxquelles nous sommes soumis quotidiennement.

Q: Après plusieurs documentaires de différentes factures, pourquoi ce sujet de la photo?

R: J'aime passionnément la photographie et je me questionne sur le sens des images dont nous sommes submergés tous les jours. Comment montrer en images les tumultes du monde? C'est une question qui nous rejoint tous et que j'ai voulu poser à des artistes et photojournalistes que j'appelle les rapporteurs d'images. Faire des films, c'est aussi faire des images, mais en mouvement. Alors, c'est une question que je me pose aussi à moi-même depuis la réalisation du Rendez-vous de Sarajevo en 1996 et des Messagers, un film sur les artistes et l'engagement, en 2002.

Q: Comment faire la distinction entre travail de documentariste et travail de photojournaliste?

R: Nous sommes loin de la commande au quotidien. Un des protagonistes du film, Philip Blenkinsop, dit: «En tant que photographes, storytellers, journalistes, nous n'avons pas le temps de vivre pleinement ce qu'on a vu, ce qu'on a ressenti. Ce besoin maladif de rapidité, où tout doit être livré hier, ça peut faire de nous des idiots.» Mon travail de réalisatrice, je le fais sur la durée, comme la plupart des protagonistes de mon film. J'ai mis le temps, à toutes les étapes, pour faire ce film avant de l'offrir aux spectateurs dans toute sa maturité.

Q: Beaucoup de vos sujets dans le film sont des photographes de guerre. Est-ce que la photographie a changé après le 11 septembre 2001?

R: Il y a toujours eu censure, propagande et manipulations de l'image. Après la guerre du Viêtnam, certaines images furent interdites de diffusion. Et avec la guerre en Irak, on a connu l'embedment [incorporation de médias aux troupes]. Il y a eu des photos du 11-Septembre prises par des journalistes qu'on n'a pas voulu publier. Par contre, on a les photos de la prison d'Abou Ghraib prises et diffusées par des soldats. Toutes ces images ont été captées avec des moyens dont tout le monde dispose aujourd'hui.

Q: Qu'est-ce que le numérique a changé dans l'art photographique?

R: Les nouvelles technologies font basculer bien des choses. Dans mon film, c'est à ces questions que répondent, en parlant de leur travail, 10 créateurs. Dix personnes qui ont autant de manières de faire des images. Il y a même un bédéiste. J'aime beaucoup quand Bertrand Carrière cite, dans le film, Walter Benjamin: «L'analphabète de l'avenir, ce n'est pas celui qui ne saura pas faire des images, c'est celui qui ne saura pas lire les propres images qu'il va faire.»

Q: Les personnes que vous avez rencontrées semblent avoir un regard très humaniste. Qu'en dites-vous et quel est le lien entre eux?

R: Ce sont 10 personnalités fortes et fascinantes. Ces gens ont du coeur au ventre; en cela, ils rejoignent mes artistes engagés. Et ils savent transmettre de l'espoir... Dans le film, Geert Van Kesteren dit: «Je ne suis pas particulièrement à la recherche de l'horreur; je cherche comment on survit... à tous les tumultes du monde.» Ce qui se dégage de l'ensemble des témoignages des personnes que j'ai rencontrées, c'est une grande empathie et beaucoup d'humanité. Ces rencontres me sont inoubliables et j'ai voulu les partager avec le public.

> Dans un océan d'images prend l'affiche le 20 septembre.