«J'arrive à un âge où on perd beaucoup d'amis, lance Robert Morin dès le début de l'entrevue. J'ai perdu des copains scouts, des gens avec qui j'ai passé les plus belles années de mon adolescence. Ce roman, c'est la nostalgie de l'amitié... J'ai eu comme une espèce de remous émotif. Et je me suis dit que ça ferait changement de faire autre chose qu'un film en colère.»

Robert Morin a 64 ans et il ne les fait pas. Malgré les crises cycliques du cinéma québécois, il n'a jamais cessé de tourner, peu importe les budgets. C'est ce système «D» qui a fait de lui l'une des figures les plus importantes de notre cinématographie.

Sa marque? La caméra comme arme de combat, qui brouille les frontières entre réalité et fiction. Des films durs, troublants, dans lesquels il se met parfois en scène. Petits ou gros budgets se côtoient dans son impressionnante filmographie et ce n'est pas l'argent qui garantit la puissance de ses réalisations: Yes Sir! Madame, Petit Pow! Pow! Noël, Journal d'un coopérant...

Les 4 soldats, qui prend l'affiche vendredi prochain, représente un changement de cap pour le cinéaste qui dit avoir tourné ce film comme si c'était son premier.

«Je n'ai jamais tourné de cette façon-là; les plans-séquences, ce n'est pas ma marque de commerce. J'ai fait plutôt des films assez tough, des films de losers... Cette fois, j'ai eu envie d'être plus proche du cinéma classique. Si les gens m'attendaient encore avec un film coup-de-poing, disons que je me suis payé un trip

Famille élective

Cette adaptation du roman d'Hubert Mingarelli - couronné d'un prix Médicis en 2003 - raconte la naissance d'une puissante amitié entre quatre soldats. Dans le roman, ce sont quatre Russes fuyant les Roumains en 1919. Dans le film de Morin, la guerre se déroule dans l'avenir, entre riches et pauvres. Mais, comme dans le roman, ce n'est que la toile de fond.

«C'est l'une des rares oeuvres où la guerre est quelque chose de bien», note Morin, qui est allé passer quelques jours avec Hubert Mingarelli dans les Alpes pour discuter de son projet et pour lui soumettre ses versions du scénario.

Le plus important était de respecter l'esprit du roman, dont la simplicité rappelle le conte. «Ce que Mingarelli et moi voulions conserver, c'est l'idée d'une amitié qui vire en famille. Un papa, une maman, un ado, un cadet et un bébé qui arrive.»

Pour les besoins du cinéma, Robert Morin a choisi de faire incarner le personnage principal par une femme (Camille Mongeau), la narratrice de l'histoire, qui se souvient avec candeur de ses meilleures années avec ses amis.

C'est précisément la simplicité du récit de Mingarelli, ses personnages archétypaux et la portée universelle du conte qui ont séduit Morin.

«Un conte, ce n'est pas démagogique, c'est pédagogique, explique-t-il. Ce n'est pas une fable avec une morale. C'est plus délicat. Le conte a des paramètres incontournables. Les personnages n'ont pas de psychologie. Environ 80% de la cinématographie est faite en fonction de l'évolution des personnages. Ça fait de bons films, mais le conte, ce n'est pas ça.»

«Blanche-Neige, elle est niaiseuse du début à la fin, parce qu'elle est au service du conte!»

Quitter sa zone de confort

Robert Morin l'avoue: il est sorti de sa zone de confort avec ce film. «C'est hyper angoissant; je n'ai pas de sécurité là-dedans.» N'empêche, on reconnaît le style du cinéaste, ainsi que ses goûts puisqu'il s'agit encore, en quelque sorte, d'un huis clos, une formule qu'il utilise souvent.

«C'est un huis clos en plein air, mais c'est un huis clos. Je ne serai probablement jamais capable de m'évader de ça. C'est comme n'importe quel auteur: on tourne autour de notre piquet. Je ne me vois pas faire un road movie, par exemple. En même temps, c'est le fun de se donner un coup de pied au cul. J'ai découvert qu'on pouvait faire un film contemplatif, avec rien.»

Et le mystère de l'amitié demeure entier pour lui. «La façon dont ça se fait est aussi mystérieuse que celle dont ça se défait. J'ai perdu des amis par déception. Je les connaissais depuis longtemps et, du jour au lendemain, ils m'ont déçu. Pourquoi n'avais-je pas vu ça avant? Peut-être qu'on n'est pas perspicace à certains moments de notre vie. Souvent, c'est après qu'on se rend compte qu'on a été heureux. Et là, on touche à la nostalgie pure.»

> Les 4 soldats prend l'affiche vendredi prochain.

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LES QUATRE SOLDATS

Antoine Bertrand

BIG MAX

Plutôt simple d'esprit, Big Max est l'enfant du groupe. «Robert nous a présenté [le clan] sous forme de famille. Cela a permis de camper tous les archétypes familiaux: le père, la mère, l'ado, le bébé et le petit dernier qui arrive sur le tard. Ça nous a tous mis au diapason et je trouve que ça paraît dans le film. Par sa nature, Max est le seul qui est capable d'oublier momentanément la guerre. Il a des moments de lucidité et, à d'autres moments, il ne va pas bien du tout.»

Christian de la Cortina 

MATÉO

Il incarne le leader, la force brute, un père de famille qui, sous des dehors durs, cache une réelle tendresse. «Robert voulait qu'on vive le moment présent. Et c'est ce qu'on a vécu, car on tournait les scènes en ordre chronologique, dans des plans-séquences. Nous avons passé tout l'été ensemble, vêtus en soldats, dans la poussière; nous nous sommes vite liés d'amitié. Je trouve que c'est un beau film, mais, par-dessus ça, ce sont de beaux personnages.»

Aliocha Schneider

KEVIN

Toujours en retrait, Kevin représente la figure adolescente du groupe. «Je ne parle presque pas dans le film; je devais donc créer un personnage sans mots. Le background des personnages, même si nous ne l'avions pas, ça passait très bien dans le contexte du film. En temps de guerre, on est déraciné; tout le monde se retrouve dans le même bateau. Ça ressemble à un plateau de tournage: on n'a pas le choix de bien s'entendre. Je suis absolument fier de faire partie de ce film que je trouve super beau.»

Camille Mongeau 

DOMINIQUE

Force tranquille dotée d'un instinct maternel, Dominique est la narratrice de l'histoire. «Mon personnage apporte une stabilité au sein du groupe. Je la vois comme celle qui tient la famille, parce que c'est tout ce qu'elle a et qu'elle ne veut pas que ça éclate. Elle est tout en retenue, contrairement à Big Max qui dit tout ce qu'il pense. Elle est asexuée; il n'y a aucune ambiguïté dans ce personnage et je pense que c'était important de garder ce rapport-là.»

PHOTOMONTAGE LA PRESSE

Dans le sens des aiguilles: Antoine Bertrand, Christian de la Cortina, Aliocha Schneider et Camille Mongeau.