Lee Daniels est réputé pour la vérité qu'il parvient à «extraire» de ses acteurs. Sous ses directives, ils ne jouent plus, ils sont. Pas étonnant: il n'est pas «derrière» eux, il est en eux, avec eux.

Ainsi, l'une des scènes de Lee Daniels' The Butler se déroule à bord d'un autobus bondé de jeunes gens, Noirs comme Blancs, en route pour manifester pour les droits de la population afro-américaine.

Au moment où le véhicule arrive sur un pont surgissent des membres du Ku Klux Klan, des sympathisants nazis, des racistes sans dénomination précise. Le réalisateur se trouve alors dans le car, avec ses acteurs et ses figurants. Il crie: «Action!»

À l'extérieur, la foule emplie de haine hurle. Secoue l'autobus. En approche des torches. «Au moment voulu, j'ai crié: "Coupez!" Mais ils n'ont pas entendu. Ils ont continué. Pendant une milliseconde, j'ai compris ce que c'était que d'être ces jeunes-là, prêts à risquer leur vie pour la liberté. Ils étaient des héros.»

Il a alors craqué. A pleuré. Et sa voix tremble encore quand il relate l'épisode.

Elle tremble comme celle de Yaya Alafia, qui incarne l'une des jeunes protestataires. Elle se trouvait à bord du bus. Et, dans une autre scène, au comptoir d'un diner où, avec ses compagnons d'idéal, elle s'était assise dans la section réservée aux Blancs.

Oprah Winfrey, qui prenait parfois les rênes de la conférence de presse, s'est adressée à elle. «J'ai vu le film trois fois. Chaque fois, je me suis demandé ce qui se passait en toi lorsque ces gens se sont mis à te cracher dessus. Parce que je pense qu'il n'y a pas pire insulte. Et tu restes de marbre. Tu joues, tes agresseurs jouent, mais quand même: est-ce allé chercher quelque chose de primal en toi?»

«Absolument, a répondu la jeune actrice. Il faut dire que, grâce à Lee, tout semblait terriblement vrai. Le décor, les costumes, les figurants. Et nous, les protestataires, devions endurer les mots, les crachats. Avoir de la compassion pour nos oppresseurs. J'avais beau savoir que nous jouions, ça m'a si profondément affectée que j'ai vomi par la suite. Il m'a fallu du temps pour évacuer cette tension, pour que mon pouls revienne à la normale.» Et de conclure, après une pause: «Ç'a été une expérience extraordinaire.»