Entrevue avec le réalisateur californien Ryan Coogler, qui signe un premier long métrage primé à Sundance et à Cannes, Fruitvale Station.

Dans le contexte où le verdict de non-culpabilité de George Zimmerman (pour la mort tragique de Trayvon Martin) divise l'Amérique, Ryan Coogler présente un premier long métrage qui se penche sur un cas de profilage racial et d'utilisation de la force excessive ayant mené à la mort d'un jeune Noir: l'histoire vraie d'Oscar Grant, abattu par un policier le soir du réveillon du Nouvel An, en 2009, sur le quai d'une station de métro à Oakland.

À l'époque, ce fait divers a été fortement médiatisé en Californie. Plusieurs usagers du BART (le réseau de trains de banlieue de Bay Area) ont filmé la scène avec leur téléphone. Fruitvale Station s'ouvre d'ailleurs sur ces images d'archives. On y voit un policier (blanc) tirer dans le dos d'Oscar Grant, alors que ce dernier est menotté et visiblement non dangereux.

«Quand j'ai vu ces images à la télévision, je me suis dit: ça aurait pu être moi. Nous avions le même âge [22 ans], nous venons du même quartier et d'une famille modeste», a expliqué le réalisateur afro-américain, en entrevue téléphonique dans les bureaux new-yorkais du distributeur Harvey Weinstein. Par la suite, Ryan Coogler a suivi avec intérêt le procès du policier (il a été condamné à deux ans de prison pour homicide involontaire) et les réactions de la communauté noire d'Oakland et de San Francisco. À la fin de ses études en cinéma, il a décidé d'écrire un film sur ce drame grâce à une bourse d'aide à la scénarisation.

En janvier 2011, le jeune cinéaste a entendu parler de Significant Productions, la boîte de l'acteur, producteur et philanthrope Forest Whitaker. «Forest fait beaucoup de projets humanitaires et il cherchait des jeunes pour réaliser des films avec des thématiques sociales. Je lui ai soumis mon idée d'un film sur Oscar Grant. Il m'a tout de suite dit qu'il m'aiderait à le faire!»

L'aval de Whitaker a permis de financer le film, mais aussi d'aller chercher des vedettes, comme Octavia Spencer, qui incarne la mère d'Oscar Grant. Ce dernier est défendu par un jeune acteur montant: Michael B. Jordan.

«Je n'aurais pas pu mieux tomber pour ces rôles. Dès le début, j'ai mis de côté l'idée d'un documentaire. Parce qu'un documentaire est plus long à financer qu'une oeuvre de fiction, mais aussi parce que je voulais que le spectateur puisse s'identifier à Oscar, être près de lui, de ses émotions. J'ai fait le choix de raconter cette histoire du point de vue d'Oscar. Je reviens sur les 24 heures de sa vie, avant le drame. Ce jeune homme n'était pas un ange... Mais il voulait devenir meilleur. C'est basé sur les témoignages de sa famille, de ses proches.»

Entre le martyr d'une communauté et le petit truand de la délinquance des ghettos américains, le cinéaste a voulu montrer l'humain, le fils, l'amant et le jeune père de famille, dont la mort va laisser un grand vide autour de lui.

Tourné à l'été 2011 (en 16 mm et sur les lieux des événements) avec un budget de moins d'un million de dollars, Fruitvale Station a été lancé au Festival de Sundance en 2012. Le film y a remporté le Prix du public (drame) ainsi que le Prix du jury (drame). Il a également été présenté en mai dernier à Cannes, dans la section Un certain regard, et a reçu le Prix de l'avenir (meilleur premier film).

Inutile de dire que son film arrive à un moment propice, alors que le destin des jeunes hommes noirs aux États-Unis semble plus risqué que celui de ceux qui ont la peau plus pâle...

> Fruitvale Station prendra l'affiche le 2 août.