Le film du cinéaste romain Matteo Garrone débarque au Québec auréolé du grand prix du jury, obtenu à Cannes l'an dernier. Une comédie fellinienne qui fait le récit d'un modeste poissonnier cherchant à participer à l'émission de téléréalité Grande Fratello (Big Brother). La Presse s'est entretenue avec lui.

Q : Reality est née d'une histoire simple mais vraie. Laquelle?

R : Oui. C'est l'histoire de mon beau-frère - le frère de ma femme - qui voulait vraiment participer à l'émission de téléréalité Big Brother. Il a passé des auditions, mais, comme mon personnage de Luciano, il n'a pas été retenu. Le scénario du film relate en grande partie son histoire.

Q : Dès le départ, on a l'impression d'entrer dans une fable.

R : Oui, je voulais tout de suite établir qu'il s'agissait d'un conte de fées. Que tout est vrai, mais qu'il y a aura aussi un côté fantastique. Parce que, dans la deuxième partie du film, on est vraiment dans le monde imaginaire de Luciano. On a tourné le film à Naples, parce que c'est dans cette ville que ça s'est passé.

Q : Vous dites que le personnage de Luciano est un peu comme un Pinocchio des temps modernes. Dans quel sens?

R : Dans le sens où il est à la fois ingénieux et naïf. Il est tenté de suivre un chemin qui va le rendre riche et célèbre: celui du capitalisme. La télévision est une façon de s'évader de son quotidien. En participant à cette émission de téléréalité, mon personnage cherche aussi à prouver qu'il existe. Il est question de son sort, mais aussi de celui de sa famille et de ses amis, qui s'accrochent à son rêve.

Q : Le film se déroule assez lentement. On a l'impression que vous avez filmé Luciano comme s'il s'agissait d'une téléréalité!

R : Oui. Sa vie est un comme un feuilleton de téléréalité! Si vous avez l'impression que le rythme du film est lent, c'est parce que j'ai fait de longs plans-séquences. À mi-chemin, le personnage de Luciano s'invente une nouvelle identité. Il change de vie. C'est ce que je filme. Il devient philanthrope, mais seulement parce qu'il se croit surveillé par des bonzes de l'émission.

Q : C'est très coloré comme film, très fellinien aussi, non?

R : Personne n'ose se comparer à Fellini. L'imiter relèverait de la pure folie. Mais il est vrai qu'après coup, on peut y voir des influences. Dans la vie rêvée par Luciano. Avec ces foules de personnages très colorés aussi. Au départ, on est dans une comédie, mais, à mesure que le film progresse, ça s'assombrit. Il y a quelques mois, mon film était projeté dans la même salle que Le cheik blanc de Fellini, son premier film. Ça m'a fait plaisir.

Q : Pourquoi tous les personnages qui font partie de la famille de Luciano sont gros?

R : (Rires) C'est parce que les Napolitains qui vivent à la campagne sont les plus gros d'Italie! La famille de ma femme vient de là-bas et ils sont encore plus gros que mes personnages. Là-bas, les gens mangent tout le temps. C'est très mal vu de ne pas manger. Et comme mon film a été tourné à Naples, je voulais être fidèle à la réalité!

Q : Vous avez choisi de travailler avec le compositeur français Alexandre Desplat (Carnage, Le prophète). Pourquoi?

R : Alexandre est un grand fan de Nino Rota, qui a justement travaillé avec Fellini. Il a réussi à créer des émotions et à narrer cette histoire. Sa musique, magnifique, est d'ailleurs très présente lorsque le personnage de Luciano est dans son monde. Sinon, ce sont les bruits de la ville qu'on entend.

Q : Comment le film a-t-il été reçu en Italie?

R : Ç'a été difficile. Le film est sorti quelques mois après Cannes, ce qui m'a été reproché par les médias. C'était peut-être une erreur. Et puis, les gens ont cru qu'il s'agissait d'un film sur la téléréalité Big Brother, qui est très populaire ici. Ce qui n'est pas le cas. C'est un film qui aborde des thèmes beaucoup plus vastes que la téléréalité. Bref, il y a eu un malentendu avec les médias, mais, autrement, ç'a été bien reçu.

__________________________________________________________________________

Reality prend l'affiche le 24 mai.