Après un passage par le documentaire, le cinéaste sénégalais Moussa Touré revient à la fiction avec La pirogue, film consacré aux nombreuses tentatives de passage d'Africains vers l'Europe. Et un film qui possède de surprenantes inspirations québécoises, a constaté La Presse, qui a rencontré le réalisateur en Belgique.

Avant d'amorcer le tournage de son film La pirogue, Moussa Touré a réuni son producteur et son directeur photo pour leur montrer le documentaire Un jeu si simple, film de 1964 réalisé par Gilles Groulx et consacré au... hockey et au Canadien de Montréal!

«Guy Borremans en était le directeur photo. Dans ce film, ce n'est pas le jeu qui m'intéressait, mais les expressions sur le visage des spectateurs. Et ça, c'est mon film. La pirogue est un film canadien!», raconte en riant le réalisateur, rencontré en octobre dernier au Festival international du film francophone de Namur, en Belgique.

Rendons toutefois à Jean-Claude Labrecque ce qui lui revient. Le site web de l'Office national du film indique qu'il a, au même titre que M. Borremans, signé la direction photo du film de Groulx.

Cela dit, Moussa Touré exprime une grande admiration pour Guy Borremans, mort le 29 décembre dernier. «C'est mon maître», lance le Sénégalais, qui caresse l'idée de faire un documentaire sur ce photographe et directeur photo d'origine belge ayant fait carrière au Québec.

Ce n'est pas le seul lien que Touré a avec le Québec. En 1992, son film Toubab Bi a remporté le prix du meilleur long métrage africain au festival Vues d'Afrique. Il a aussi siégé avec Michel Côté au jury du festival de Namur et parle de lui avec affection. Michel Côté le lui rend bien. «Moussa est un gars au charme fou. Il est brillant, intelligent, sociable et affable. Deux minutes après notre rencontre, nous étions les meilleurs amis du monde», affirme le comédien québécois en entrevue.

Braver la mer

Mais revenons à La pirogue, huis clos à ciel ouvert qui en dit long sur le désir des Africains de quitter le continent noir pour un destin qu'ils croient meilleur en Europe.

Le film suit le parcours d'une poignée de Sénégalais qui, dans la grande banlieue de Dakar, paient le prix fort pour tenter de passer aux Îles Canaries. Ils s'entassent dans une pirogue de pêche conduite par Baye Laye (Souleymane Seye Ndiaye). Réticent à faire ce travail, Baye Laye cède sous la pression d'un passeur qui lui offre un bon prix. Le jour où la boussole de l'embarcation est perdue en mer, l'aventure tourne au cauchemar.

Moussa Touré, qui a signé plusieurs documentaires, affirme qu'il a appliqué cette approche pour La pirogue, film présenté dans la section Un certain regard à Cannes. «Dans un documentaire, tu n'as pas besoin d'écrire beaucoup de choses. Tu as besoin de les capter, dit le réalisateur. Et c'est ce que j'ai fait avec les comédiens.»

Horizon bouché

Il dit que cette réalité fait partie du quotidien des gens. «En Afrique, en général, on ne voit pas trop l'horizon. Celui-ci est bouché. Personne ne peut sortir ou avoir de visa. Et ceux qui gouvernent, en général, sont des mateurs de peuple. Tout jeune qui naît quelque part a de l'espoir. Quand il n'en a plus, il essaie de se tirer.»

Des gens comme Baye Laye, héros du film, sont très sollicités par les trafiquants, précise-t-il. «Des gens comme Baye sont plus humains que les passeurs. Eux aussi veulent s'en sortir même s'ils ne restent pas. Ils font des allers-retours. Ils ne se considèrent pas comme des trafiquants. Ce sont des gens qui vont braver la mer et qui, parfois, ne réussissent pas.»

Au cours des dernières années, 30 000 personnes ont essayé de fuir l'Afrique de cette façon; du nombre, 5000 sont mortes. Des milliers d'autres ratent leur coup et sont retournés dans leur pays. Ils n'ont qu'un désir: repartir. «Pour eux, dit Moussa Touré, c'est comme s'ils n'avaient rien réussi.»