En temps normal, Thérèse Desqueyroux serait déjà un film à part dans la filmographie d'Audrey Tautou. Avec la disparition de Claude Miller, cette adaptation du roman de François Mauriac occupe une place encore plus particulière.

En vérité, elle ne sait pas pourquoi Claude Miller a pensé à elle avant même de commencer à écrire le scénario de Thérèse Desqueyroux. Il ne lui a jamais dit. Et elle ne lui a jamais demandé. Mais le fait est qu'un jour, l'estimé cinéaste, disparu quelques semaines avant le lancement de son film au Festival de Cannes, a fait parvenir à Audrey Tautou le roman de François Mauriac, paru en 1927. Parce qu'il voyait clairement l'interprète d'Amélie Poulain et de Coco Chanel dans le rôle.

«Nous nous connaissions depuis une dizaine d'années, a précisé l'actrice au cours d'une interview réalisée au festival de Toronto. Nous avions déjà évoqué un projet dans lequel j'aurais pu participer, mais les hasards de la vie ont fait que nous n'avions pas encore eu l'occasion de travailler ensemble. Comme tous les acteurs, je rêvais de travailler avec Claude. Son cinéma en est un de finesse, d'humanité, de mystère et de contraste aussi. À la lecture du roman, j'avais déjà vu le potentiel de cette héroïne incroyable, et Claude a fait ressortir toute la complexité et la richesse de ce personnage. Quand je suis entre les mains d'un cinéaste de cette envergure, je ne me pose pas de questions sur ses intentions. Je sais qu'il sait ce qu'il fait!»

Une nouvelle facette

Audrey Tautou a le sentiment que Claude Miller lui a offert la possibilité d'explorer une autre facette de sa personnalité d'actrice. Thérèse Desqueyroux est une femme des années 20, coincée dans une vie qui ne lui convient pas. Elle étouffe dans sa petite ville de province, où elle vit avec un mari un peu rustre (Gilles Lellouche). Elle a soif de culture, d'ouverture, et rêve de s'installer à Paris. Le drame surgit le jour où Thérèse est accusée de tentative d'empoisonnement. Mise au ban de la société, déshonorée par son mari, sa famille, par tout l'entourage, cette femme doit maintenant faire face à la justice.

«C'est la première fois que l'on me confie un rôle aussi sombre, aussi dur, qui comporte à la fois lumière et mystère, fait remarquer l'actrice. Ce rôle occupait déjà une place particulière dans mon esprit, mais les circonstances font que l'écho est maintenant différent. Nous présentons le film sans Claude et nous souhaitons être à la hauteur. C'est un peu comme si je me sentais investie d'une façon différente.»

Selon l'actrice, Thérèse Desqueyroux n'est pas un personnage historique. Plutôt une femme moderne qui doit composer avec l'environnement dans lequel elle évolue.

«Même si Thérèse est issue d'une autre époque, je la trouve très moderne dans ses préoccupations, sa façon d'être. Je peux facilement m'identifier à cette femme. La pression qui pèse sur certaines femmes, que celle-ci soit de nature familiale, sociale ou autre, s'exprime autrement de nos jours, mais elle existe toujours.»

Pour la première fois de sa carrière, Audrey Tautou a ressenti le besoin de discuter longuement du personnage avec son partenaire, à l'extérieur du plateau. Pendant le tournage, l'actrice a passé plusieurs soirées avec Gilles Lellouche afin de bien s'entendre sur les motivations des personnages et mettre au point les scènes qu'ils allaient jouer ensemble. En parallèle, elle a aussi écrit tous les dialogues intérieurs que pouvait imaginer Thérèse.

«À partir du moment où quelqu'un est forcé à se taire, il y a forcément tout un foisonnement intérieur, souligne l'interprète. Puisqu'elle n'avait pas le choix, Thérèse a dû beaucoup dialoguer avec elle-même. Elle pense tellement à ce qu'elle n'a pas le droit de dire qu'elle l'entend continuellement dans sa tête. Pour mon travail d'actrice, j'avais besoin de verbaliser toutes ses pensées de façon très précise, car le film repose sur les non-dits.»

Un tournage heureux

Audrey Tautou garde le souvenir d'un tournage heureux, même si le cinéaste se savait malade.

«Jamais aurions-nous pu nous douter que la fin arriverait si vite, dit-elle. Nous étions évidemment impressionnés par le courage de Claude, son élégance, sa patience aussi. Il a mis toute l'énergie qui lui restait au service du film, sans jamais faire ressentir la moindre lourdeur à son équipe ou aux acteurs. Ce fut un tournage très léger, très agréable. Claude avait une telle maîtrise de l'outil cinéma, une telle maîtrise de la mise en scène, que c'était un bonheur de le voir travailler son art tous les jours. Le regarder était une leçon. Nous n'avons jamais eu l'impression qu'il était en train de tourner son dernier film. Et lui non plus.»

Thérèse Desqueyroux prend l'affiche le 30 novembre.