Le réalisateur Sébastien Rose, qui nous a habitués à des antihéros masculins (Comment ma mère accoucha de moi durant sa ménopause, La vie de mon père, Le banquet), continue d'explorer le thème de la filiation, cette fois par l'entremise de deux héroïnes à contre-courant dans Avant que mon coeur bascule, peut-être son film le plus intime.

Sébastien Rose s'est inspiré d'une anecdote personnelle qui aurait pu mal tourner lorsqu'il a écrit son scénario, en collaboration avec Stéfanie Lasnier. «Ma vie aurait pu basculer à 16 ans, raconte-t-il. J'étais un ado fermé, blessé, je faisais mon dur, et j'ai fait des conneries. Un jour, j'étais avec mes chums, on fumait des joints, on niaisait. On a sonné à une porte en disant que c'était un hold-up, pour le fun, mais le gars qui a répondu a failli avoir une crise cardiaque devant nous, et la police est arrivée avec des fusils... Cela aurait pu avoir des conséquences graves. Moi, ma vie a changé ce soir-là et, au fond, c'est ce moment-là que j'ai voulu dilater dans mon film, à partir d'un événement traumatique. Je voulais montrer comment un coeur naît.»

Le personnage principal d'Avant que mon coeur bascule, Sarah (Clémence Dufresne-Deslières), est justement une ado qui erre, de façon inconsciente, entre quelques magouilles et quelques frissons amoureux. Jusqu'à ce qu'elle provoque involontairement la mort d'un homme (Alexis Martin). Son sentiment de culpabilité sera le déclencheur d'une prise de conscience. Comme si, tout à coup, elle se sentait vraiment concernée, sans trop savoir quoi faire de cette révélation. Elle tente d'établir un contact avec la veuve de cet homme, Françoise (Sophie Lorain), tout en continuant avec difficulté à garder ses liens avec Louis (Étienne Laforge) et Ji-Guy (Sébastien Ricard), qui font office de famille d'adoption dysfonctionnelle.

Aucune mise en contexte (on ne saura rien de ses parents biologiques): le spectateur attrape Sarah à un moment de sa vie et la voit évoluer devant ses yeux. C'est voulu, et Sébastien Rose, caméra à l'épaule, filme de près son héroïne, dans une approche très réaliste qui laisse cependant la part au mystère de l'âge ingrat. «C'est le fond qui me dicte la forme, explique-t-il. Je voulais épouser mon sujet, c'était la meilleure façon de parler du tourment d'une adolescente, de montrer la passion et la fébrilité de cet âge-là.»

Un «coup de génie»

Une jeune inconnue de

16 ans (aujourd'hui 17) porte littéralement le film sur ses épaules: Clémence Dufresne-Deslières. Sébastien Rose a eu le coup de foudre pour son naturel et son profil atypique, et cela dès le premier jour, même s'il a vu près de

300 comédiennes en audition. Il n'est pas le seul à avoir été sous le charme: Sophie Lorain ne tarit pas d'éloges pour son jeu. «Le coup de génie de Sébastien, c'est Clémence, dit-elle. Ce que j'aime beaucoup, c'est que ça sort des sentiers battus. Ce n'est pas la jeune première que nous sommes habitués de voir, on dirait qu'il l'a ramassée dans la rue. Elle est présente, naturelle, habitée et investie. J'adore cette jeune fille.»

Clémence Dufresne-Deslières, qui est passionné par le métier depuis l'enfance et compte bien poursuivre dans cette voie, soutient n'avoir aucune ressemblance avec son personnage - ce qui confirme son travail d'interprétation. «Sarah, à la base, c'est quelqu'un de blessé. Elle est violente, dure, délinquante, menteuse... C'est quelqu'un qui n'est pas facile à comprendre, mais c'est clair qu'il y a un manque dans sa vie. Un père et une mère, qui seront un peu incarnés par Alexis Martin et Sophie Lorain.»

Des «chats sauvages»

Avant que mon coeur bascule, c'est aussi la rencontre de deux âmes soeurs - Sarah et Françoise étant deux filles plutôt farouches - qui devront s'apprivoiser. «C'est très audacieux ce qu'ont écrit Sébastien et Stéfanie, estime Sophie Lorain. Parce qu'on est habitués à voir des films et des projets qui sont un peu du tout cuit aujourd'hui. Ce qui n'est pas le cas avec ce film. Ces deux femmes-là ne représentent pas les archétypes habituels qu'on voit à l'écran, elles ne sont pas de prime abord sympathiques. L'une a commis un crime, l'autre vit un deuil, elles ne sont pas très glamour, pas très féminines, plutôt des chats sauvages dans leur tête et leur corps. Elles n'auront pas le choix d'évoluer ensemble si elles veulent passer de l'autre côté du miroir. Elles doivent apprendre à s'ouvrir, sinon elles ne s'en sortiront pas, et ce qui est intéressant, c'est de voir à quel point Sébastien a bien travaillé ça, sans tomber dans le pathos et le mélodrame.»

Avant que mon coeur bascule prend l'affiche le 16 novembre.