Créer un film d'animation fantaisiste sur un thème aussi tragique que le suicide? C'est ce qu'a fait Patrice Leconte en adaptant le roman de Jean Teulé. Et en chantant!

Patrice Leconte l'affirme d'entrée de jeu: il n'aurait jamais accepté de porter Le magasin des suicides à l'écran si le récit n'avait pas bifurqué du côté de la vie.

«C'est dans ma nature, dit-il au cours d'un entretien téléphonique accordé à La Presse. Le message est tout le contraire de celui que véhiculent les personnages adultes du film. La vie est belle et vaut la peine d'être vécue. Cela dit, je ne vous cacherai pas qu'il s'agit là d'un travail de funambule. On joue avec de la dynamite. À l'arrivée, le film plaît ou déplaît, mais je suis heureux que nous ayons réussi à faire en sorte que le message positif soit mis de l'avant. J'ai toujours tendance à tirer vers le haut.»

Cette adaptation en dessin animé du roman de Jean Teulé a aussi permis au réalisateur de Ridicule de manier l'humour noir comme jamais auparavant. Le magasin des suicides suit les tribulations d'une famille pas comme les autres, dont le fonds de commerce est de miser sur le malheur des gens en vendant aux désespérés tout le nécessaire pour «réussir» un suicide. Or, l'arrivée d'un enfant enjoué et rieur - ce qui est contraire aux sombres préceptes de la famille - vient remettre bien des choses en question.

«J'ai tendance à croire que ce film peut attirer tous les publics, analyse Patrice Leconte. Mais nous nous sommes rendu compte que les enfants de 8, 9 ou 10 ans l'appréciaient particulièrement. C'est probablement dû au fait qu'ils ont le même âge que le petit Alan, le gamin du film, et qu'ils s'identifient au regard qu'il porte sur les adultes qui l'entourent. Il les trouve résolument trop sombres et trop sérieux!»

Du relief 2D

Le magasin des suicides est une coproduction France-Québec-Belgique. La société Toutenkartoon, qui a pignon sur rue à Paris, Montréal et Angoulême, s'est investie dans ce projet. On doit d'ailleurs la technique du relief 2D à cette entreprise. D'une certaine façon, Patrice Leconte, qui a été dessinateur au magazine Pilote dans les années 60, a l'impression de renouer avec ses premières amours.

«J'ai été enthousiasmé quand on m'a montré la technique du relief 2D, explique-t-il. Comme je tiens à conserver l'aspect plus artisanal du dessin, je trouvais que cette technique s'harmonisait à merveille avec l'idée que j'avais de ce film. C'est un peu comme une image en relief qui sort d'un livre. D'ailleurs, je préfère dire du Magasin des suicides qu'il s'agit d'un dessin animé plutôt que d'un film d'animation. L'aspect graphique du dessin est très important.»

Le réalisateur a tenu à ce que ce soit des acteurs très peu connus qui prêtent leurs voix aux personnages.

«C'est une tendance lourde de faire appel à des stars pour des films d'animation, mais, personnellement, j'estime que ça ne sert pas bien les films. Le spectateur n'oublie jamais la personnalité de la vedette dont il entend - et reconnaît - la voix.

L'expérience fut à ce point concluante qu'avec son scénariste complice, Jérôme Tonnerre, Patrice Leconte planche déjà sur le scénario d'un autre dessin animé, qui sera produit au cours des prochaines années avec la même équipe. Le processus étant très long, on vise une sortie sur les écrans à Noël 2015.

Le cinéaste ne délaisse pas pour autant le cinéma en prise de vues réelles. Dès la semaine prochaine, il entame en Belgique le tournage d'Une promesse, adaptation du roman Le voyage dans le passé de Stefan Zweig.

«Il s'agit d'une histoire d'amour sublime campée dans l'Allemagne de 1912, précise le réalisateur. Je tourne le film en anglais avec des acteurs britanniques. J'aurai le plaisir de diriger Rebecca Hall, Alan Rickman et Richard Madden. Après avoir éprouvé une petite lassitude, qui découlait de mauvais choix de ma part, j'ai le sentiment d'avoir retrouvé l'enthousiasme de mes débuts!»