Pour tous ceux qui s'intéressent à l'animation, le nom de Genndy Tartakovsky est synonyme de Samourai Jack, série culte réalisée en 2D traditionnelle. Pour ses premiers pas au grand écran, le réalisateur d'origine russe se tourne vers la 3D et l'animation en images de synthèse. Tête-à-tête avec un «dompteur d'ordinateurs».

Comme tout créateur, Genndy Tartakovsky rêvait que le premier film qu'il réaliserait pour le grand écran soit le fruit de son idée. Mais les idées sont difficiles à vendre et les longs métrages, à mener à terme.

Lorsque Sony Animation lui a parlé d'un projet qui circulait chez eux depuis quelques années et qui était maintenant en quête d'un réalisateur, il a décidé d'écouter. Et a accroché au pitch: «C'est l'histoire de Dracula, qui surprotège sa fille adolescente». Il a trouvé invitante l'idée d'un hôtel qui accueillerait les monstres les plus célèbres, de Frankenstein à l'Homme invisible, en passant par la momie et le loup-garou. Et il a mordu en découvrant qu'Adam Sandler était attaché au film.

C'est ainsi que le créateur de la série culte Samourai Jack, chef-d'oeuvre de l'animation en 2D traditionnelle, s'est retrouvé à la barre d'Hotel Transylvania, film en 3D et en images de synthèse.

«J'avais des craintes en commençant, a-t-il admis lorsque La Presse l'a rencontré pendant le Festival du film de Toronto. Je ne sais pas faire de l'animation à l'ordinateur, j'ignore beaucoup de choses sur le plan de la technique. Mais ce que je savais, par contre, c'est que l'ordinateur a tendance à unifier, à extraire le facteur humain du travail, à gommer ces différences qui font que, quand vous regardez les Looney Tunes, vous savez que tel segment est signé Chuck Jones et tel autre, Bob Clampett.»

L'homme et la machine

Bref, l'ordinateur peut voiler la signature de l'artiste, à moins que l'artiste ne résiste. C'est ce qu'a fait Genndy Tartakovsky. À ceux qui lui ont dit que ceci ou cela n'était pas faisable, il a répondu: essayons et on verra ce qui se passera. «On a "cassé" des programmes et, au bout du compte, on est arrivé à ce que j'avais en tête.»

Et ce qu'il avait en tête était à mille lieues du réalisme si prisé de nos jours en animation. Pas question que les spectateurs, au lieu d'entrer dans son histoire, restent «hors de l'écran» à admirer «cette chevelure extraordinaire» ou «ces arbres qui semblent être vrais».

Selon sa vision de l'animation, le fait de s'éloigner de la réalité permet de se rapprocher de l'émotion: «Pensez aux sept nains de Blanche-Neige: il n'y a pas personnages plus clownesques et, pourtant, il est impossible de ne pas avoir le coeur serré quand ils sont autour du cercueil de leur princesse. Selon moi, plus vous stylisez, plus vous devenez votre propre "chose", et plus pouvez aller chercher l'émotion.»

C'est ce qui explique l'allure des personnages d'Hotel Transylvania et leur gestuelle extrêmement... extrême: les proportions et les caractéristiques faciales sont exagérées, les mouvements sont volontairement caricaturaux et l'énergie qui en résulte, dans le registre du survoltage. «Sauf dans les moments plus intimes et affectueux, où tout ralentit soudain», note le réalisateur.

Pousser ainsi l'animation ne s'est pas fait sans quelques «protestations» des programmes conçus pour imiter la réalité: «Lorsque Dracula, par exemple, se déplace très vite, en une seule image, d'ici à là, le personnage arrivait là... alors que ses vêtements étaient encore ici.»

Il a fallu leur «expliquer» la réalité, selon Genndy Tartakovsky. Qui, tout en louant la liberté qui lui a été laissée sur le plan artistique, note qu'il a quand même dû tenir compte des droits que possèdent des studios concurrents sur certains attributs de ces monstres classiques.

«Par exemple, Frankenstein ne pouvait pas être vert ni avoir des vis de chaque côté de son cou, et pas question que les cheveux de Dracula forment une pointe sur son front: ces éléments appartiennent à Universal», explique le réalisateur, qui dit avoir beaucoup appris au cours de l'aventure.

Notamment d'Adam Sandler, puisque le comédien, qui agit à titre de producteur délégué pour le film et prête sa voix à Dracula, a participé, avec ses scripteurs, à l'écriture du scénario: «J'ai compris les vertus du synchronisme: une farce peut être drôle sur papier, si elle n'est pas livrée au bon rythme, personne ne rit.»

Samourai Jack, le film?

Il faut dire que l'humour n'est pas le passe-partout de l'oeuvre de celui à qui l'on doit aussi Dexter's Laboratory et Star Wars: Clone Wars. Il en est donc venu à créer Samourai Jack parce qu'il trouvait que «les cartoons américains d'action manquaient de drame et de combats. Et ils n'étaient pas assez cool». Ainsi est né ce samouraï, qui se retrouve dans le futur à combattre des robots. C'est sans complaisance. C'est dramatique et sérieux. C'est formidablement stylisé. C'est «tartakovskien».

Et nombreux sont ceux qui rêvent de voir un long métrage à cette enseigne. Qui rêvent mais éprouvent en même temps une certaine crainte, notamment parce que Mako Iwamatsu, la voix si distinctive d'Aku, ennemi mortel du héros, est mort en 2006. Et puis, il y a tant de trahisons dans le passage d'un médium à l'autre...

Mais Genndy Tartakovsky ne dit pas non: «Tellement de gens m'en parlent ces jours-ci que mes producteurs tendent l'oreille.» À suivre, donc.

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Hotel Transylvania

(Hôtel Transylvanie) prend l'affiche le 28 septembre.