À Venise comme à Toronto, le nouveau film de Paul Thomas Anderson a créé l'événement. Abordant la question de l'émergence de nouvelles croyances,The Master, selon son auteur, est surtout

Abordons la question d'entrée de jeu. Oui, The Master est inspiré par les débuts du fondateur de la Scientologie, Ron. L. Hubbard, à l'époque où ce dernier mettait de l'avant les préceptes de la dianétique, une méthode de «développement personnel». Paul Thomas Anderson l'a confirmé à la Mostra de Venise, où son film a été présenté en primeur mondiale.

«À la rigueur, cela n'est qu'un prétexte, poursuivait l'auteur cinéaste quelques jours plus tard au cours d'une conférence de presse tenue au Festival de Toronto. Ce qui me fascine avant tout dans les années 50, et c'est ce qui a permis la montée de différentes croyances à mon sens, c'est l'optimisme à tout crin qui a marqué cette époque, même si le monde sortait d'une guerre qui avait fait des millions de victimes. Comment rallier ces deux choses contradictoires dans ce contexte?» Même si The Master n'est qu'une évocation, et qu'il n'a strictement rien du drame biographique , certains membres de l'organisation de scientologie ne l'auraient pas entendu ainsi. Les bureaux de The Weinstein Company, distributeur du film aux États-Unis, auraient en effet été inondés d'appels et de courriels « étranges » récemment, au point où la société a cru bon resserrer les mesures de sécurité lors de la première newyorkaise du film au Ziegfeld Theatre lundi dernier.

Dépendance affective

Mettant en vedette Philip Seymour Hoffman et Joaquin Phoenix, qui se sont partagé le prix d'interprétation à Venise, The Master relate le parcours, au début des années 50, de Freddie (Phoenix), un vétéran des forces navales, et sa rencontre avec un nouveau mouvement spirituel ayant pour nom The Cause. À la tête de cette organisation, Lancaster Dodd (Philip Seymour Hoffman), un leader charismatique qui voit en Freddie une âme à sauver. Ayant du mal à composer avec la vie quotidienne au retour de la guerre, ne pouvant trouver sa place dans la société, Freddie est clairement aux prises avec des démons intérieurs que Lancaster ne connaît que trop bien. D'où le lien qui se créera entre les deux hommes. Une certaine dépendance affective découle de cette association, tant du côté du leader que de son éventuel dauphin.

«C'est un peu comme une histoire d'amour», précise d'ailleurs Paul Thomas Anderson.

Pour élaborer cette histoire, celui que tout le monde surnomme PTA a tenu à donner à The Master un style d'époque. Il en outre tourné son film sur pellicule 65 millimètres (très rare de nos jours, pour ne pas dire inexistante), et il a construit sa mise en scène en s'inspirant du grand cinéma des années 40 et 50.

«The Best Years of Our Lives (William Wyler) est bien entendu une référence, fait remarquer le cinéaste. Mais il y a aussi un documentaire que John Huston a tourné en 1946, commandé par les forces armées. Dans Let There Be Light, Huston a suivi des soldats aux prises avec des troubles émotifs, enclins à la dépression. Nous avons reconstitué des scènes en puisant à même ce document-là. Mais au-delà de ça, je suis un maniaque des films de cette époque. Chez moi, ma télé est branchée sur TCM (Turner Classics Movies) en permanence!»

Des acteurs d'exception

Dans l'esprit de Paul Thomas Anderson, seul Philip Seymour Hoffman, qu'il avait déjà dirigé dans Boogie Nights et Magnolia, pouvait se glisser dans la peau de Lancaster Dodd. L'acteur, lauréat d'un Oscar grâce à Capote, a aussi participé à l'élaboration du scénario. L'idée de faire appel à Joaquin Phoenix pour lui donner la réplique s'est aussi imposée très vite.

«J'avais envie de travailler avec Joaquin depuis très longtemps, explique l'auteur cinéaste. J'ai essayé d'obtenir son accord pendant au moins une douzaines d'années en lui proposant des rôles. Mais il les avait toujours refusés jusqu'à maintenant. Dieu merci, il a enfin accepté cette fois !»

Les deux acteurs livrent des performances exceptionnelles dans une oeuvre que d'aucuns qualifient de magistrale. Une scène de «discussion», alors que les deux hommes se retrouvent voisins de cellule dans une prison, passera assurément à l'histoire. Dans cette séquence, Phoenix a l'occasion d'extérioriser, disons, la rage intérieure du personnage. Une cuvette de porcelaine en a payé le prix de son existence

«Cette scène a été écrite de trois façons, explique PTA. La première stipulait que Joaquin pouvait se laisser aller à la folie. Ce fut la première prise. On l'a gardée. Et nous n'en avons tournée aucune autre.

Quand on assiste à ce genre de moment, on craint que l'acteur n'en sorte pas indemne mais en même temps, on se sent privilégié de capter un tel instant de vérité. Fort heureusement, tout s'est bien déroulé. Philip et Joaquin sont des virtuoses mais ils savent aussi très bien jouer en équipe.»

Tout comme le cinéaste et son partenaire de jeu, Philip Seymour Hoffman est allé défendre le film à la Mostra de Venise. En plus du prix d'interprétation conjoint, The Master a obtenu là-bas le Lion d'argent de la meilleure réalisation.

Paul Thomas Anderson et Joaquin Phoenix se sont ensuite envolés vers Toronto. Mais l'acteur n'a finalement pas fait de véritable apparition publique au TIFF. Quelques jours auparavant, à Venise, il n'avait répondu à aucune question lors de la conférence de presse. Qu'il avait d'ailleurs quittée à mi-chemin.

«Joaquin est imprévisible», s'est contenté de dire Paul Thomas Anderson pour expliquer l'absence de l'acteur.

The Master prend l'affiche le 28 septembre.