Le film Genèse évoque les questionnements amoureux liés à l'adolescence, en trois histoires distinctes. Discussion avec le réalisateur Philippe Lesage.

La première histoire de Genèse est construite autour d'un jeune homme, Guillaume (Théodore Pellerin), pensionnaire d'un collège réservé aux garçons, qui tombe amoureux de son meilleur ami. Dans la deuxième, Charlotte (Noée Abita, révélation du film français Ava) multiplie les aventures après que son amoureux a évoqué le souhait d'un couple « ouvert ». Enfin, Félix (Édouard Tremblay-Grenier) vit ses premiers émois amoureux dans un camp de vacances, en toute innocence. Lancé au festival de Locarno, le nouveau film de Philippe Lesage (Les démons) a notamment obtenu la Louve d'or du Festival du nouveau cinéma de Montréal, l'an dernier.

L'époque dans laquelle se déroule votre film n'est pas vraiment définie, et une partie de l'intrigue se déroule dans un genre d'institution scolaire qui n'existe plus beaucoup de nos jours.

Évidemment, tout ce que je fais comporte une portion autobiographique. J'ai étudié dans un pensionnat. Cela dit, je dirais qu'il y a beaucoup de moi-même dans les trois personnages principaux de Genèse, y compris le personnage qu'interprète Noée Abita. Dans un collège, on essaie de nous faire entrer dans un moule. Les stéréotypes liés au genre sont encore plus forts, plus conservateurs. Pendant mes cinq années d'études, absolument personne n'est sorti du placard. Tu te tirais d'affaire en étant sportif ou en étant une espèce de baveux fort en gueule. Les personnages du film sont à un âge où ils n'ont pas encore peur d'aimer. Ils y vont à fond et s'abandonnent à l'amour sans se méfier.

Aviez-vous déjà vos acteurs en tête au moment de l'écriture ? Notamment pour le personnage de Guillaume, qu'interprète Théodore Pellerin ?

J'ai fait le casting moi-même, avec une équipe. On y a mis presque un an parce qu'à mon avis, c'est une étape cruciale. Et je dois avouer qu'avec Théodore, qui jouait déjà dans Les démons, j'ai failli faire la plus grosse erreur de ma vie, car au début, je craignais qu'il soit trop vieux pour le rôle et je lui ai fait faire des essais pour un autre personnage. Comme ça ne fonctionnait pas, je l'ai finalement vu pour le rôle de Guillaume et là, je me suis aperçu que je ne pouvais pas ne pas le lui donner. L'esprit créatif d'un comédien doit rencontrer le mien. J'ai beaucoup discuté avec Théodore. Il s'est mis à lire tous les livres de J.D. Salinger et il est allé visiter un pensionnat pour garçons pendant quelques jours. J'aime explorer avec les acteurs sur un plateau. Je ne suis pas du tout jaloux de mon texte.

Quand Genèse commence, Théodore Pellerin est juché sur un pupitre et entraîne toute sa classe à entonner avec lui la chanson à répondre Pour boire il faut vendre. La même chanson ouvre le dernier acte du film, qui n'a rien à voir avec les deux premiers. Pourquoi ce choix ?

J'étais en train de travailler au montage de Les démons en Gaspésie quand, par hasard, un soir, je suis tombé sur ce groupe, Réveillons, spécialisé dans le folklore. J'ai souhaité que cette chanson incroyable soit chantée dans le film par le groupe, dans le cadre d'un camp de vacances, comme une façon de revenir à nos racines culturelles, mais aux racines de l'amour aussi. Cela dit, la scène où Théodore la chante s'est décidée deux ou trois jours avant le tournage. Ça permettait d'installer la situation, avec ce personnage de gai luron de la classe, un peu baveux, mais dont on peut découvrir aussi rapidement la vie intérieure, très riche, et établir ainsi tout de suite la complexité du personnage. Et puis, ça crée un lien avec le dernier acte aussi.

Pourquoi l'adolescence est-elle si attirante pour les cinéastes ?

Parce que cette période de la vie est d'une très grande intensité. Tout est à découvrir. Un an dans la vie d'un adolescent correspond à quoi dans la vie d'un adulte ? Quand je commence à écrire, je me laisse suivre par mes personnages et je ne sais jamais comment l'histoire va se terminer. C'est infini. Et toujours très riche, très inspirant.

Vous avez étudié le cinéma au Danemark. Vous êtes aussi un grand admirateur du cinéma de Bergman. D'où vient cette sensibilité « scandinave » ?

Je venais de finir un bac en littérature à McGill. J'étais certain de ma volonté de faire du cinéma, mais je ne voulais pas suivre le chemin habituel. À cette époque, nous étions dans l'effervescence du Dogme, ce mouvement lancé par Lars Von Trier, de qui j'étais très admiratif. Breaking the Waves, Les idiots. Je le suis beaucoup moins maintenant, car il est devenu une caricature de son propre cinéma. The House that Jack Built est insupportable, mais j'ai commencé à décrocher il y a longtemps, après Dogville. Dancer in the Dark m'avait déjà beaucoup irrité. C'était de la pornographie sentimentale à mes yeux. Cela dit, il y a quand même du génie dans Von Trier. De retour chez nous, j'aurais voulu tourner un long métrage tout de suite, mais j'ai longtemps été un outsider.

Être cinéaste au Québec en 2019, c'est comment ?

Si mes films ne sortaient pas du Québec, je trouverais ça un peu dur. Je suis heureux que, depuis Les démons, mes films soient reconnus à l'étranger, mais je trouve ça quand même triste. J'avoue qu'ici, je suis un peu terrorisé par les sorties en salles, car on ne sait jamais comment ça va se passer. J'espère que des gens sont encore intéressés par le cinéma d'auteur. J'ai parfois l'impression qu'au Québec, le statut de l'artiste n'est plus ce qu'il était. Les trolls, ça finit par nous atteindre. Je trouve quand même extraordinaire qu'on produise chez nous du cinéma libre et qu'on permette aux créateurs d'explorer. Le respect de l'artiste n'est peut-être plus ce qu'il était sur le plan social, mais il existe encore au sein des institutions.

Vous avez déjà en main un scénario que vous comptez déposer auprès des institutions. De quoi s'agit-il et quand aimeriez-vous le tourner idéalement ?

Le titre de travail est La vie d'un grand réalisateur. J'y raconte l'histoire d'un jeune homme qui a la chance de côtoyer son idole pour ensuite se rendre compte que cette personne qu'il adule a aussi des failles. C'est aussi le regard d'un adolescent sur le monde des adultes. À travers cette histoire, je m'attaque un peu au mythe de la masculinité, qui est encore très fort au Québec. L'image de l'homme des bois, un dur au coeur tendre, très en contact avec la nature, est encore très présente. Le récit évoque également la tendance égocentrique des artistes et emprunte un peu la forme d'une autocritique. J'aimerais le tourner cet automne, car il est important de battre le fer pendant qu'il est chaud et d'enchaîner tout de suite avec un nouveau film.

Genèse prendra l'affiche le 15 mars.

PHOTO FOURNIE PAR FUNFILM DISTRIBUTION

Philippe Lesage, scénariste et réalisateur du film Genèse