Après La belle visite et La marche à suivre, le documentariste Jean-François Caissy propose, avec Premières armes, le troisième volet de cinq films sur les différentes étapes de la vie. Son nouvel opus observe le début de l'âge adulte à travers le prisme d'un camp de formation dans l'armée canadienne.

D'abord, l'expérience humaine

Faisons un retour en arrière. Avec La belle visite (2009), Jean-François Caissy explorait la vieillesse. La marche à suivre (2014) traitait de l'adolescence. Le fil conducteur dans cette démarche d'observation des grandes étapes de la vie? L'expérience humaine. «Cela reste le sujet numéro un de mes films, expose M. Caissy. J'ai toujours l'impression de capter un moment dans la vie d'une société. J'aime bien parler de ce qui me touche et de ce qui, quelque part, me représente.» Son prochain projet de documentaire portera sur la petite enfance et traitera du rapport au monde de jeunes qui ont de deux ans et demi à 5 ans. Il bouclera la boucle avec un film sur l'âge de raison (40-60 ans).

Le premier stress 

Faire son entrée dans l'âge adulte et choisir une carrière font partie de cette expérience humaine chère au cinéaste. Filmer un groupe durant une période de formation professionnelle constituait une excellente façon d'illustrer son propos. «Lorsque j'étais adolescent et que je m'imaginais adulte, mon premier stress était de penser à me choisir un métier et une place dans la société, se rappelle le cinéaste. Et lorsqu'on s'oriente, on choisit un groupe, comme c'est le cas ici. Ce qui est intéressant avec les militaires est qu'ils habitent tous dans un même lieu. Pour moi qui fais du cinéma d'observation, c'est idéal car mes sujets sont un peu captifs.»

Le groupe avant l'individu 

C'est à travers la vie d'un groupe (dans une maison pour personnes âgées, puis dans une école secondaire) que Jean-François Caissy a exploré la vieillesse et l'adolescence. Et c'est aussi le cas avec ce nouveau film. D'autant plus que chez les militaires, le groupe passe avant l'individu. Son intérêt à suivre une formation militaire est aussi nourri du fait que c'est un métier à l'opposé de la création artistique. «Artiste, tu essaies de te faire confiance, d'être autonome. Tu apprends à ne pas écouter et à foncer quand on te dit non. Alors que chez les militaires, il faut apprendre à écouter, à laisser son opinion de côté et à entrer dans le moule.»

Intense 

On fait remarquer à Jean-François Caissy qu'il n'y a pas beaucoup de temps morts dans son film. À l'image des 12 semaines de formation, qu'il a filmée aux bases militaires de Saint-Jean-sur-Richelieu et de Farnham où il s'est rendu à raison de quatre ou cinq jours par semaine, le film roule à un train d'enfer. «La formation militaire est très exigeante, et les participants ont trop de tâches à accomplir pour les faire seuls, estime le cinéaste. Pour répondre à tout ce qu'on leur demande, ils partagent les tâches. J'avais le goût que le film reflète ce surplus de charges. Les candidats sont toujours épuisés, ce qui est un peu la base de l'endoctrinement. D'ailleurs, les cinq premières semaines du cours s'intitulent "l'endoctrinement" et les sept suivantes s'appellent "la confirmation de l'endoctrinement".»

Reflet de la société

Avant de tourner son film, Jean-François Caissy avait, comme tout le monde, son point de vue sur l'armée. De côtoyer des recrues lui a permis de voir une autre réalité. «En travaillant auprès de militaires de rang, je m'attendais à retrouver un certain type de personne qui s'enrôle, dit-il avec un sourire en coin, mais sans définir sa pensée. Or, j'ai eu la surprise de constater qu'il y a une réelle représentation de la société dans le groupe. Il y a des gens de tous les horizons. Une des recrues était un jeune qui était à la maîtrise en mathématiques avant de tout laisser tomber. Un autre venait d'une famille de médecins et avait tout ce qu'il faut pour le devenir à son tour. Certains individus possédaient ce qu'il faut pour devenir officier à l'entrée, mais ont préféré vivre l'entraînement du soldat.»

Pas censuré 

Il faut sans doute se montrer convaincant pour que des personnes acceptent de se faire filmer durant des semaines. Entre les retraités du premier documentaire, les adolescents du deuxième et les militaires du troisième, qui a posé le plus de difficultés? «Chacun a les siennes, répond le cinéaste. Dans le cas de l'armée, j'ai mis un an à les convaincre de ne pas avoir droit de regard sur le montage du film.» On remarque, par exemple, que les officiers blasphèment souvent en s'adressant aux recrues. «C'était bien pire il y a 10 ans, soutient M. Caissy. Mais ça apporte un côté un peu croustillant au montage. Je tenais aussi à mettre ce passage où un militaire se fait rappeler qu'il aura un jour une arme entre les mains et que son job est de tuer l'ennemi avant de se faire tirer. Pour moi, c'était super important que ce soit mentionné.»

En salle le 18 janvier.