Jusqu'à la fin de juillet, nous découvrons un film méconnu du répertoire Éléphant, voué à la mémoire du cinéma québécois.

COEUR DE MAMAN (1953)

Drame de René Delacroix

Avec Jeanne Demons, Rosanna Seaborn et Henri Norbert

Ce film de René Delacroix s'ouvre sur la jeune Yvonne Laflamme, qui chante à sa grand-mère Coeur de maman, chanson qui sera le leitmotiv musical lancinant (et fatigant) de ce mélodrame psychotronique, oublié de notre cinématographie. Un an auparavant, Yvonne Laflamme avait bouleversé tout le Québec dans le rôle-titre de La petite Aurore, l'enfant martyre, qui avait fait un tabac au box-office et dont on se souvient beaucoup plus. D'ailleurs, la musique à l'orgue dans les deux films est de Germaine Janelle. Un thème relie Aurore, l'enfant martyre et Coeur de maman : la maltraitance. Cette fois, celle des aînés, comme quoi ça se passait aussi dans « le bon vieux temps », ces histoires-là, et Coeur de maman sert clairement à faire la morale aux enfants ingrats.

Car comment peut-on être méchant envers Marie Paradis (Jeanne Demons), qui est l'incarnation même de la mère dévouée ? C'est presque une caricature, en fait, avec ses beaux cheveux blancs en chignon et son tablier qui lui donnent l'air d'avoir 80 ans, même si elle dit en avoir 62. Alors qu'elle ne rêve que de réunir toute sa famille autour de la table pour son anniversaire (qu'elle passe aux fourneaux), ses enfants, pervertis par la ville et l'argent, annulent presque tous leur visite à la dernière minute. On ne comprend pas la cruauté gratuite de cette progéniture, qui ne sera même pas émue quand elle apprendra que la mère sans le sou n'a que des boulettes de papier pour se réchauffer en plein hiver.

Seul le cadet est gentil avec elle, mais il se retrouvera mêlé à tort dans une histoire de vol et envoyé en prison, après la mort du père alcoolique, qui laissera Marie encore plus seule qu'elle ne l'était. Et même pire, à la merci de Céleste, sa méchante belle-fille anglophone (Rosanna Seaborn) qui, en l'hébergeant avec exaspération, en profitera pour la transformer en servante. Heureusement, Mgr Payot (Henri Norbert) découvrira le pot aux roses - c'est fou, les rôles de curés sages ou héroïques dans le cinéma d'avant les années 60 au Québec...

Et, comme le souligne à grands traits le titre, ce grand coeur de maman pardonnera à ses enfants indignes, et honteux d'avoir été, disons-le, de parfaits écoeurants avec elle.

Le sujet, triste et grave, est encore d'actualité - c'est le plus décourageant -, mais le traitement poussif de ce film, écrit par Henry Deyglun, donne souvent le fou rire. En même temps, c'est irrésistible, parce que Coeur de maman est devenu un véritable document sur les moeurs de l'époque (on n'en revient pas de l'énorme déférence de tous les personnages envers Mgr Payot), accompagné d'une attaque pas très subtile de la modernité qui défait les valeurs familiales traditionnelles. Dans un article du Devoir en 2013, François Lévesque révélait qu'une chicane entre le producteur J.A. De Sève et Rosanna Seaborn, qui avait financé le film pour y jouer, avait mené à l'oubli de Coeur de maman, relégué sur une étagère par un J.A. De Sève fâché. La restauration de ce film par Éléphant n'en est que plus précieuse. Enfin, Rosanna Seaborn (Todd de son vrai nom), un personnage dans la vraie vie, se donnera un autre rôle de méchante au cinéma canadien-français, dans Le triomphe du coeur - L'esprit du mal de Jean-Yves Bigras, en 1954.

Image fournie par Éléphant

Coeur de maman