Dans la tradition du cinéma-vérité, Guillaume Sylvestre s'est infiltré durant un an, caméra au poing, dans l'univers troublant de la Direction de la protection de la jeunesse. Avec DPJ, le réalisateur porte un regard choc, frontal, mais sans jugement sur une réalité terriblement complexe. Et qui se passe dans une maison près de chez vous.

Quand la DPJ rebondit dans l'actualité, c'est souvent pour critiquer sa lourdeur bureaucratique, dénoncer ses dérives et ses abus. Guillaume Sylvestre, lui, s'est intéressé à cette étourdissante «machine» sans jugement ni complaisance. Tel un observateur qui débarque en zone de guerre et qui se donne la mission de rapporter des images qui parlent d'elles-mêmes.

Parfois, il est inutile de commenter la douleur, la vulnérabilité, la dépendance. Mieux vaut l'observer. Et essayer de comprendre. «Mon intérêt de faire un documentaire sur la DPJ, après que la direction a accepté de m'ouvrir les portes en me laissant carte blanche, était de démythifier cette "machine" tant redoutée par bien du monde, explique Sylvestre en entrevue avec La Presse. Car la DPJ a un impact irréversible sur la vie de dizaines de milliers d'enfants et de parents au Québec.»

D'ailleurs, quand il a «pitché» son documentaire aux financiers, on lui demandait de quel côté son histoire penchait: «Je n'aime pas donner de leçons ni m'en faire donner, explique le réalisateur. Les gens aiment bien les histoires de veuve et d'orphelin. Ils cherchent un bourreau et une victime. La réalité est plus complexe. Les travailleurs sociaux font face, chaque jour, à des dilemmes cornéliens.» 

«Tous les intervenants que j'ai rencontrés s'interrogent, doutent et tentent de faire les meilleurs choix dans l'intérêt des enfants. Ce n'est ni noir ni blanc.»

Guillaume Sylvestre a suivi durant une année complète des intervenants, des éducateurs et des travailleurs sociaux dans les bureaux de la DPJ, dans des centres jeunesse et des foyers des familles signalées. Il arrivait seul sur le terrain avec sa caméra, sans perchiste ni assistant, en se faisant discret pour mieux se faire oublier.

Au front de la maltraitance

Le réalisateur s'est concentré sur le cas de parents qui se font retirer la garde de leurs enfants, mais aussi d'adolescents qui doivent quitter - volontairement ou pas - leur milieu familial défavorable.

En cours de tournage, le cinéaste a modifié l'angle de son récit: «Je voulais d'abord mettre les jeunes à l'avant-plan, puis j'ai opté pour le point de vue des intervenants. Je trouve que leur travail est incompris par la population. Ces hommes et ces femmes vont au front pour régler des conflits, des crises incroyables. Or, ils demeurent patients, calmes, empathiques, à l'écoute dans la plupart des situations.»

DPJ pour: «dépotoir pour jeunes»

Dans une scène d'intervention auprès d'une famille de huit enfants totalement dysfonctionnelle, le père lance à une intervenante: «La DPJ, ça veut dire "Dépotoir pour jeunes".»

Une autre mère polytoxicomane dit à un éducateur: «Vous faites ce que vous voulez de toute façon. Je le sais comment ça marche, je suis un enfant de la DPJ.»

Dire que le travail essentiel des travailleurs de la DPJ est dévalué dans la société, cela tient de l'euphémisme. 

«J'ai connu une quinzaine de jeunes intervenants durant le tournage en 2015. Aujourd'hui, plus de la moitié ont fait un burnout et quitté leur poste.»

Et comment le cinéaste est-il sorti de cette expérience sur le terrain de la DPJ? «Ç'a été dur. Je me suis attaché à ces gens. Des mères qui, malgré leurs problèmes de maltraitance, aiment vraiment leurs enfants au fond de leur coeur. Tu le sens qu'elles voudraient changer...»

Dans une scène déchirante, on voit une mère lire une lettre adressée à son fils de 2 ans qu'il pourra lire avant sa majorité dans sa famille d'adoption. En pleurs, elle cesse de lire et blâme son ex pour l'abandon de son fils: «Son père était comme un enfant!», dit-elle.

«Avec tout le respect que j'ai pour vous, ensemble, vous êtes souvent deux enfants, répond l'intervenante, en prenant soin de détacher chaque mot. Et deux enfants ne peuvent pas vraiment s'occuper d'un autre enfant...»

Son film dur, mais essentiel, Guillaume Sylvestre aimerait qu'il soit vu par nos élus, le ministre Gaétan Barrette en tête. «Trop de gens qui prennent des décisions dans le milieu des services sociaux ignorent la réalité sur le terrain. Ou bien, ils préfèrent ne pas voir ce qui se passe, à côté de chez eux...»

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DPJ prend l'affiche en salle le vendredi 1er décembre à Montréal, Québec et Sherbrooke; en version courte (69 minutes), il sera aussi diffusé à Docu-D, au Canal D, le 7 décembre à 22 h.

Filmographie sélective de Guillaume Sylvestre

> Le prix du paradis - Documentaire (2016).

Steakhouse - Gagnant du Gémeaux du meilleur documentaire (2015)

Secondaire V - Documentaire. Compétition officielle, Festival du nouveau cinéma de Montréal (2013)

Premier amour - Fiction. Compétition officielle, Festival d'Angoulême (2013)

Sauvage - Documentaire. Compétition officielle, Festival du nouveau cinéma de Montréal; compétition officielle, festival Présence autochtone (2010)

Durs à cuire - Documentaire. Ouverture du Festival du nouveau cinéma de Montréal (2007)

Photo fournie par les Productions Lustitia

DPJ