L'adaptation cinématographique de romans québécois est presque devenue une tendance chez nous. On en a deux nouveaux exemples avec Et au pire, on se mariera de Sophie Bienvenu, réalisé par Léa Pool, et Les rois mongols de Nicole Bélanger, réalisé par Luc Picard, qui viennent tout juste de prendre l'affiche. Nous avons réuni les deux auteures, qui ont aussi rempli les fonctions de scénaristes, pour qu'elles nous parlent de leur expérience.

Nicole Bélanger: Sophie, j'ai apporté ton livre parce que je suis fan. J'aimerais avoir une dédicace.

Sophie Bienvenu: Moi, j'ai lu le tien ce week-end, et j'ai beaucoup aimé ça. J'y ai vu une parenté, vraiment.

Nicole Bélanger: Ça se ressemble, hein? On écrit un peu pareil.

La Presse: Vous avez toutes les deux un roman adapté au cinéma cet automne... Quand on écrit, c'est quelque chose qu'on imagine?

Nicole Bélanger: Les rois mongols était d'abord un scénario. Je l'ai écrit en 1992, c'était mon projet de fin d'études en scénarisation à l'UQAM. Un de mes profs m'a dit que j'écrivais bien, mais que ce scénario ne se ferait jamais... Il m'a conseillé de faire un roman.

Sophie Bienvenu: Tu as suivi son conseil et tu as foutu ça dans un tiroir, ou tu as essayé de trouver quelqu'un pour le faire?

Nicole Bélanger: J'ai essayé, mais je trouvais qu'on ne me prenait pas au sérieux. Alors j'ai publié le roman. J'ai ensuite développé le projet au début des années 2000 avec des producteurs, mais on n'a pas réussi à intéresser un distributeur. Pendant des années, je me suis dit que ça ne se ferait jamais. Ça a débloqué quand Luc Picard est arrivé dans le décor il y a quatre ans, mais même là, ça a été difficile.

Sophie Bienvenu: J'ai été chanceuse. Ça a pris trois ans.

Nicole Bélanger: On m'a dit que c'était passé au premier dépôt?

Sophie Bienvenu: Oui...

Nicole Bélanger: Moi, il a fallu quatre dépôts à la SODEC, quatre à Téléfilm Canada... Je n'étais plus capable à la fin. J'ai dit à Luc : une fois qu'il sera passé, je te le confie, il est à toi. Ça ne s'est pas fait sans douleur... J'ai eu un post-partum épouvantable. Ma réaction m'a même étonnée.

Sophie Bienvenu: Est-ce que c'est la même chose pour toi que pour moi? Les gens ne voyaient pas mon roman en film...

Nicole Bélanger: Non, le mien avait déjà une structure cinématographique. 

Sophie Bienvenu: Honnêtement, moi, il y avait juste deux personnes qui le voyaient, Léa et moi. 

Nicole Bélanger: Moi, je suis une réalisatrice frustrée. Dans ma tête, c'était déjà tout découpé. J'avais mon film dans la tête, j'avais ma Manon aussi. Alors quand l'autre Manon est arrivée, j'ai trouvé ça dur.

Sophie Bienvenu: Et le résultat final, en fait?

Nicole Bélanger: C'est formidable. Vraiment beau. 

La Presse: Souvent, en sortant du cinéma, on se demande si le livre est meilleur que le film, et vice versa... Qu'est-ce que vous en pensez?

Nicole Bélanger: Je pense qu'en général, la littérature est toujours supérieure au cinéma parce que tu as accès à l'intériorité.

Sophie Bienvenu: Il y a autant de livres que de lecteurs qui le lisent.

Nicole Bélanger: C'est le lecteur qui écrit.

Sophie Bienvenu: Exactement. Ils voient les personnages. Comme tu disais tantôt, ta Manon, tu ne la voyais pas de même. Même chose pour les gens qui le lisent. Le film, c'est la vision d'une personne, tu es dans la tête d'un lecteur. Tu ne peux pas juger ce qui est meilleur ou moins bon.

Nicole Bélanger: Les rois mongols de Luc Picard, c'est une oeuvre. Le livre, c'est une autre oeuvre. C'est le même texte, mais sa sensibilité est vraiment différente de la mienne. Il est plus tendre et plus féminin que moi. J'ai trouvé le film doux. Je n'aurais pas fait ça.

Sophie Bienvenu: Le truc, c'est qu'il y a plus de réponses dans le film que dans le livre. Dans un film, tu as besoin d'un peu plus de réponses, même si on se rend compte finalement que les gens voient bien ce qu'ils veulent voir!

La Presse: Travailler sur un scénario ou un roman, ce n'est pas la même chose, j'imagine.

Nicole Bélanger: Tu décris des plans, des personnages. C'est très technique.

Sophie Bienvenu: Pour moi, ça ne change pas grand-chose. Quand j'écris un roman, je vois un film dans ma tête. C'est juste la technique qui change.

Nicole Bélanger: J'adore écrire des scénarios. C'est tellement plus simple.

Sophie Bienvenu: Moi aussi. J'ai maintenant trois pattes. Celles d'autrice, de poète et de scénariste. Si j'en perds une, ce serait bancal.

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Et au pire, on se mariera

Nicole Bélanger: J'ai une écriture visuelle. Et les dialogues... c'est du bonbon. Nous, on est fortes dans les dialogues!

Sophie Bienvenu: J'ai appris que le comédien est très respectueux du texte. Si tu laisses un «ne», il va le dire. Tu dois tout indiquer comment ça doit être dit, même si c'est difficile à la lecture. J'aime aussi que Léa ait laissé la liberté aux comédiens de s'approprier le texte. 

Nicole Bélanger: Quand tu dis que les acteurs s'approprient tes mots... Moi, dans le film, quand l'oncle regarde par la fenêtre et dit: «Ostie d'incompétents du câlisse...» C'est comme ça que je l'entendais dans ma tête. Il l'a vraiment sorti comme ça. Ça punche!

La Presse: Espérez-vous que ça donne un autre souffle à votre livre?

Nicole Bélanger: Moi, le livre est sorti en 1995 et n'était plus disponible, alors oui ! C'est Québec Amérique qui l'édite, et je suis très contente.

Sophie Bienvenu: Moi, le livre n'était pas disparu. À un moment donné, tout le monde qui devait le lire devrait l'avoir lu! Je ne comprends pas ce qui se passe avec ce livre, ça n'arrête plus. Il est quand même sorti en 2011!

La Presse: Il y a une scène centrale dans le film Et au pire, on se mariera, qui n'est pas dans le livre. C'est la confrontation de la mère et de la fille dans la voiture... 

Sophie Bienvenu: Oui. Quand j'écrivais cette scène, je trouvais que c'était trop d'émotions. Je l'ai envoyée à Léa en lui disant: on coupera dedans parce qu'elle est trop intense. Léa a refusé.

Nicole Bélanger: Tu avais peur que ce soit trop mélo?

Sophie Bienvenu: C'était trop violent. Trop d'émotions pour moi. 

La Presse: Tu as l'impression qu'il y a plus d'émotions dans le film que dans le livre?

Sophie Bienvenu: Je trouve que oui. C'est une chose de l'écrire et de le lire, c'en est une autre de le voir...

Nicole Bélanger: Donc, il y a eu des ajouts par rapport au roman.

Sophie Bienvenu: Oui, quand même pas mal. 

Nicole Bélanger: Comment vous avez fonctionné pour la coscénarisation, Léa et toi?

Sophie Bienvenu: Je ne sais plus laquelle des deux faisait quoi. On allait à la même place.

La Presse: Disons que quelqu'un achèterait les droits de votre livre et demanderait à quelqu'un d'autre de le scénariser...

Nicole Bélanger: Moi, ce serait non.

Sophie Bienvenu: Moi, ça dépend qui est le réalisateur et scénariste. Et surtout où tu t'en vas avec. Est-ce que tu aimes les personnages comme moi je les aime ? Il faut qu'on s'assure d'avoir compris la même chose. Mais si demain Jean-Marc Vallée débarque, je lui donne et je lui dis: veux-tu de l'argent avec ça? 

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Et au pire, on se mariera. Sophie Bienvenu. La Mèche

Les rois mongols. Nicole Bélanger. Québec Amérique.

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