À Saint-Henri, le 22 mai, l'intérieur du Bar de Courcelle baigne dans la pénombre et la musique country. Une douce lumière naturelle de fin d'après-midi se faufile par les fenêtres donnant sur l'ouest. L'entrevue est en cours depuis une demi-heure lorsque les premières notes du vieux tube Country Roads de John Denver résonnent.

«J'adore cette chanson», s'interrompt la comédienne Evelyne Brochu. Elle balance doucement les épaules, emportée par la mélodie. Sourire aux lèvres, elle chante les paroles du refrain: «Country roads/Take me home/To the place/I belong

Exception faite de la référence à la ruralité, les mots de Denver épousent la tangente que prend la carrière d'Evelyne Brochu ces jours-ci. Car après avoir passé plusieurs mois par année à l'étranger, la comédienne de 33 ans est revenue vers son phare, son port d'attache, son cher Montréal, là où ses prochains projets, notamment au théâtre et à la chanson, s'articuleront.

«Je suis une grande amoureuse de Montréal. Plus je m'en éloigne, plus je me rends compte qu'il n'y a rien d'autre que cette ville, sourit-elle. Je pense en être une bonne ambassadrice. J'en parle beaucoup à mes collègues quand je travaille ailleurs et je leur donne envie de venir.»

Ailleurs, c'est notamment Budapest et Toronto, où, au cours des trois dernières années, elle a séjourné pour les tournages des séries canadiennes-anglaises XCompany et Orphan Black.

Entre ces allées et venues, elle a passé du temps à Montréal pour tourner la série Trop, en Abitibi-Témiscamingue pour le film Miséricorde, en plus de faire un saut à Bruxelles pour un autre projet de film, Le passé devant nous. On connaît le succès critique et public qu'a eu Trop ce printemps. Arrivent maintenant, à quatre semaines d'intervalle au cinéma, les longs métrages Miséricorde de Fulvio Bernasconi et Le passé devant nous de Nathalie Teirlinck.

La différence entre les deux personnages ne pourrait être plus grande. Dans Miséricorde, Evelyne Brochu est Mary Ann, une «truckeuse» en jeans et chemise à carreaux, sacrant, jouant les dures. Dans Le passé devant nous, elle est Alice, escorte de luxe, féminine, délicate. Comme leur enveloppe externe, les âmes des deux femmes sont aux antipodes. Mère de deux enfants, Mary Ann est prête à tout pour protéger la vie de ses marmots et le peu qu'elle possède. Mère d'un garçon, Alice est prête à tout pour être dépouillée du moindre bien, de la moindre attache.

«Mary Ann est une terrienne, une mère. Alors qu'Alice, c'est l'air; on dirait qu'elle cherche à s'évaporer, dit la comédienne, généreuse en entrevue. Par contre, leur rapport au travail est peut-être similaire. Elles font des jobs qui, pour moi, constituent des sortes de fuite.»

Si, chez les camionneurs, la fuite s'illustre facilement (prendre la route), on la détecte moins chez l'escorte. Evelyne Brochu la voit dans le contrôle qu'Alice exerce sur ses clients qu'elle séduit et garde à distance tout à la fois. «Même si elle se trouve dans un lieu extrêmement vulnérable, c'est celui où elle est dans le contrôle. Car les autres, ses clients, sont dans le désir. Pas elle!»

Retour au théâtre

Au cours des prochains mois, Evelyne Brochu sera liée à des projets montréalais, dont celui, après une pause de quatre ans, d'un retour sur les planches qu'elle souhaitait ardemment. En mars et avril 2018, elle incarnera Nastasia Philippovna dans L'idiot, d'après le roman de Fiodor Dostoïevski, monté au TNM.

Un retour aux sources pour elle qui, en 2006 au Conservatoire d'art dramatique de Montréal, avait joué dans Le songe de l'Oncle du même auteur.

«Dostoïevski propose un univers que j'aime. Il est le seul à montrer l'être humain ainsi. C'est tellement fondamental. Ses personnages sont paradoxaux, à la fois laids et beaux, comme nous le sommes tous. Il y a quelque chose d'un peu sale dans sa façon de raconter les choses. Et puis, Nastasia Philippovna est un des plus beaux personnages féminins de la littérature mondiale. Comme elle n'a rien à perdre, tout lui est permis!»

Hormis une présence dans une soirée-bénéfice, ce sera sa première pièce au mythique TNM. Y jouer est un genre de consécration face à laquelle elle se dit «terrifiée et excitée». Mais elle se sait très bien entourée avec le texte adapté par Étienne Lepage, la mise en scène de Catherine Vidal et une distribution tout étoile qui compte, entre autres Paul Ahmarani, Macha Limonchik, Paul Savoie et Francis Ducharme. «Juste du monde puissant», conclut-elle.

Un premier album

Avec l'auteur-compositeur-interprète Félix Dyotte, un ami depuis leurs études au cégep de Saint-Laurent, elle travaille aussi sur la conception d'un album.

«Ça fait longtemps que nous faisons de la musique ensemble. On a quatre chansons et un démo. Nous sommes en discussions avec des maisons de disques. Pour moi, la musique, c'est de l'interprétation, mais sans personnage. C'est quelque chose qui reste près de moi, mais avec un plus grand dénuement.»

Un premier clip, C'est l'été, a été tourné en façade d'une maison du Plateau Mont-Royal que la comédienne a toujours trouvée belle. «J'ai cogné à la porte et demandé à la propriétaire si, en échange d'une bouteille de mousseux, elle nous laissait tourner le clip, raconte la comédienne. La dame a dit oui.»

Cogner chez une inconnue de la ville pour lui dire qu'on aime sa maison et qu'on voudrait y tourner un clip. Voilà une autre démonstration d'amour pour sa ville. «Almost heaven», comme disait John Denver...

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Miséricorde prend l'affiche le 2 juin.

Le passé devant nous prend l'affiche le 30 juin.

PHOTO fournie par 41 Shadows

La réalisatrice Nathalie Teirlinck et Evelyne Brochu sur le plateau du film Le passé devant nous