Ils ont travaillé fort pour ne pas trahir, à l'écrit comme à l'écran, l'oeuvre de Robert Lalonde. Et ils ont profité au maximum de la participation de Denise Filiatrault sur le film. Rencontre avec les artisans de C'est le coeur qui meurt en dernier.

Alexis Durand-Brault

Ce qui a touché Alexis Durand-Brault dans le roman de Robert Lalonde est cette constatation « qu'il faut accepter et aimer sa mère telle qu'elle est et non telle qu'on l'imagine ». C'est d'autant plus vrai, croit-il, en ce qui concerne ces femmes d'une autre génération qui ne l'ont pas eue facile, qui vivaient un peu refermées sur elles-mêmes, à la merci d'un pourvoyeur.

Oui, c'est un hommage aux femmes - et à sa mère bien sûr. Envoyer le scénario à sa belle-mère, Denise Filiatrault, lui a quand même donné des sueurs froides. « Elle n'est pas du genre à me faire des cadeaux. Au contraire, c'est encore pire parce que je sors avec sa fille. Mais elle m'a rappelé pour me dire : "C'est bon en tabarnak, je vais le faire !" »

Diriger sa conjointe et sa belle-mère a été un immense privilège pour lui, même s'il sentait une lourde responsabilité sur ses épaules.

« Parce que j'adore Robert Lalonde. Parce que c'est peut-être le dernier rôle de Denise. C'était aussi comme diriger une légende, quelqu'un qui a marqué le Québec profondément. Elle incarne toute une génération. C'est la première fois que j'ai eu l'impression de travailler avec une star. Denise, sur un plateau, elle glowe ! Enfin, Sophie et Denise, c'est la même rigueur. Tu es mieux de t'enligner, parce que ce sont elles qui vont t'enligner ! Elles sont très courageuses, travaillantes, les deux sont aussi de mauvaise foi, mais elles font tout avec leur coeur. Et je suis rendu là dans ma vie, je fais juste des affaires avec mon coeur. C'est ce que ces femmes-là m'auront légué. »

Sophie Lorain

La comédienne et réalisatrice Sophie Lorain, qui a aussi travaillé comme script-éditrice pour ce projet, n'a jamais croisé sa mère lors du tournage puisqu'elle incarne le même personnage plus jeune. Elle a tourné ses scènes après celles de Denise Filiatrault. Mais c'est sa mère qui lui a donné le meilleur conseil pour son interprétation : ne rien voir de ce qui avait été tourné avant de jouer.

« J'ai pensé que ce serait bien de voir ce qu'elle avait fait pour m'en imprégner. Ma mère m'a dit : "Non, ne fais pas ça. Parce que la femme que je suis aujourd'hui n'a rien à voir avec la femme que j'étais dans la quarantaine, pas plus que la femme que tu joues a à voir avec une femme de 20 ans." C'est vrai que la vie nous transforme tellement. Ça prend quelqu'un d'un certain âge pour être capable d'arriver à cette conclusion-là. Personne ne l'avait vu, ni Robert, ni Alexis, ni Gabriel, ni moi. Nous avons donc fait confiance aux traits qui nous rassemblent, à l'énergie. L'empreinte est là, on laissait faire le reste, et moi, ça m'a donné une immense liberté. »

Elle en convient, ce tournage particulier a été pour elle une mise en abyme. « Nous étions tous liés les uns aux autres, inévitablement. » Et elle salue le courage de sa mère, qui a accepté de se voir de nouveau sur grand écran, pas toujours de manière flatteuse. « Ça prend beaucoup de générosité pour se livrer de cette façon. On a beau dire que c'est un personnage, il faut endosser le rôle. La vulnérabilité de la vieillesse aussi. Je trouve que c'est un beau cadeau qu'elle s'est fait, mais qu'elle a fait aussi à Alexis, Robert, Gabriel... Et même à moi, en quelque sorte. »

Gabriel Sabourin

Le comédien Gabriel Sabourin a été très impliqué dans ce film, puisqu'il signe l'adaptation du roman de Robert Lalonde, en plus de jouer le personnage principal, Justin, un écrivain solitaire de 47 ans qui révèle dans son livre un grave secret de famille. Pour lui aussi, ce projet était une histoire personnelle, puisque son frère travaillait à la caméra, que sa conjointe Geneviève Rioux y tient un petit rôle et qu'il retrouvait ses collègues de la série Au secours de Béatrice.

Photo Ivanoh Demers, La Presse

« [Denise Filiatrault] n'est pas du genre à me faire des cadeaux, dit le réalisateur Alexis Durand-Brault. Au contraire, c'est encore pire parce que je sors avec sa fille. »

« Le moteur est qu'il voit sa mère comme la femme qu'il aime le plus au monde, mais en vieillissant, qu'on le veuille ou non, on se défait de cette image. Sauf qu'il reste ce lien que nous avons tous avec nos mamans. » Quant à donner la réplique à Denise Filiatrault - ils sont vraiment le duo du film -, Gabriel Sabourin reconnaissait en elle sa « mère de théâtre », celle qui lui a fait confiance et donné ses premiers rôles.

« Au début, elle était un peu tendue, forcément. C'était son retour au jeu. Mais peu à peu, je l'ai vue redécouvrir le plaisir de jouer. C'est quelque chose qui m'a toujours touché chez les acteurs. Je me souviens de Gérard Poirier, Edgar Fruitier ou Albert Millaire quand j'étais un jeune acteur, quand tu as à jouer avec des vétérans et que tu te retrouves au même niveau, un niveau qui est presque celui de l'enfant, même avec des gens qui ont 50 ou 60 ans de métier. Avec Denise, c'était ça. On jouait à être mère et fils et on se croyait. C'est formidable. Il n'y a pas beaucoup de métiers où on trouve ça. »

Photo Ivanoh Demers, La Presse

L'acteur Gabriel Sabourin signe l'adaptation du roman de Robert Lalonde.