L'adaptation du roman de Robert Lalonde, C'est le coeur qui meurt en dernier, marque le retour inattendu - et très réussi - de Denise Filiatrault au cinéma dans un rôle principal après 25 ans d'absence. Pour que la célèbre dame accepte de redevenir comédienne, à l'âge de 85 ans, il fallait que ce projet soit très spécial. Et il l'est, puisqu'il implique son gendre, le réalisateur Alexis Durand-Brault, et sa fille, Sophie Lorain.

Denise Filiatrault: le feu sacré

Le hasard a voulu que nous rencontrions Denise Filiatrault deux jours après la mort de Janine Sutto, avec qui elle avait pris part à la lecture des Belles-soeurs de Michel Tremblay, en 1968. « Je l'ai vue il y a deux mois, et elle me disait : "C'est long, c'est long" », raconte-t-elle, tout en ajoutant, à propos de l'idée de funérailles nationales qu'on réclamait pour sa collègue : « Et pourquoi pas ? Elle le mérite. »

Mais on sent qu'elle ne veut pas s'étendre sur ce sujet, car il est délicat de parler de la mort quand on voit partir tant de collègues et d'amis avec le temps. Vieillir est un naufrage, dit-on, mais Denise Filiatrault semble un bateau insubmersible, à 85 ans. Toujours directrice du Théâtre du Rideau Vert, et redevenue comédienne pour les besoins de ce projet dans lequel elle a mis la même fougue que dans tout ce qu'elle fait. Pour l'instant, elle a la même fébrilité et les mêmes angoisses qu'une jeune première avant la sortie du film, mais avec la conscience d'un vétéran du métier. 

« Dans mon âme et dans mon coeur, je sentais ce rôle-là, explique-t-elle. Mais les lignes allaient-elles sortir ? Moi, mon inquiétude, c'était de les faire attendre, de leur faire perdre leur temps. J'avais peur de ne pas être à la hauteur. Je n'ai pas de carrière à espérer, elle est faite, c'est fini, c'est derrière moi, mais il faut que tu penses aux producteurs, aux distributeurs et à tous ceux qui travaillent là-dessus. »

« J'en ai fait plus que ce que le client demandait parce que j'avais trop peur de ne pas être comme j'étais avant. »

- Denise Filiatrault

Mais tout le monde interrogé le confirme : Denise est toujours Denise. Gabriel Sabourin, qui incarne son fils, devait lui rappeler que son personnage avait 82 ans et était malade. C'est même elle qui a insisté pour tourner une scène où elle chausse des patins tôt le matin par un froid de canard pour glisser sur le canal Rideau. « J'étais inquiet, se rappelle le réalisateur Alexis Durand-Brault. Il y avait quelqu'un à côté d'elle au cas où elle tomberait. Mais elle voulait tellement le faire. C'est son idée ! Il faut aimer son métier en sacrament pour se faire maquiller à 6 h du matin et jouer dehors à - 25 ! »

« Mon beau-fils a une qualité extraordinaire, il a le sens de l'humour, dit Denise Filiatrault. On a fait des blagues tout le temps. Il faut rire dans la vie, parce que si tu ne ris pas... Il ne faut pas trop se prendre au sérieux, aussi. Il y a trop de choses qui vont mal dans le monde. »

UN RÔLE SUR MESURE

De toute évidence, ce rôle lui était destiné et toutes les planètes étaient alignées pour qu'elle l'accepte, alors qu'elle avait clamé sur tous les toits que c'était terminé pour elle, la carrière de comédienne. À part une petite apparition dans Laurence Anyways de Xavier Dolan, on ne l'avait pas vue devant la caméra depuis un bon quart de siècle. Denise Filiatrault incarne une mère flamboyante, à la langue bien pendue, qui renoue avec son fils écrivain, après plusieurs années de silence. Elle est à l'hospice, la maladie d'Alzheimer commence à l'atteindre, et elle lui demande l'impensable : l'aider à mourir. Mais entre ces deux-là, qui s'adorent malgré leurs frictions, pèse aussi un lourd secret qui devra être mis au jour une bonne fois pour toutes.

Demander à ses enfants de l'aide pour mourir ? C'est terrible, selon elle. « Je ne serais pas capable. Je ne pense pas, mais je ne suis pas rendue là. J'aimerais mieux demander à un étranger. À moins de souffrir terriblement. Il faut que tu souffres pour donner une telle responsabilité à tes enfants. Tu veux les protéger toute ta vie. »

« Même si tes enfants ont 50 ans, c'est comme s'ils en avaient 10. Ce sont toujours tes bébés. »

- Denise Filiatrault

NE JAMAIS DIRE JAMAIS

C'est le coeur qui meurt en dernier est une difficile histoire de famille, portée par une vraie famille. L'une des conditions d'Alexis Durand-Brault pour réaliser ce film était que Denise Filiatrault accepte le rôle de la mère âgée et que Sophie Lorain, sa conjointe dans la vraie vie, l'incarne quand elle était jeune. Denise Filiatrault avait adoré le roman de Robert Lalonde, un ami. Elle se retrouvait alors à être dirigée par son gendre et être incarnée par sa fille, sur un plateau tissé serré, puisque Durand-Brault, Lorain, Sabourin et Lalonde (qui fait un caméo) travaillent tous sur la série Au secours de Béatrice.

Disons que toute l'équipe était en terrain protégé et que le tournage a été fortement teinté de cette atmosphère familiale. C'est même un souvenir qui fait monter les larmes aux yeux d'Alexis Durand-Brault et de Sophie Lorain, bien conscients qu'il s'agit là peut-être d'une des dernières interprétations de Denise Filiatrault.

À en croire la principale intéressée, « il ne faut jamais dire jamais ». « Mais, honnêtement, pensez-vous qu'il existe beaucoup de rôles pour des actrices de 85 ans ? » Enfin, pour cette femme si fière, jouer une personne âgée et malade était difficile à voir sur grand écran - elle dit d'ailleurs ne pas vraiment avoir vu le résultat. « Je ne voulais pas ! Tsé, quand tu t'es vue à 30 ans, jeune et belle... Je trouvais difficile de voir la vieillesse. T'aimes pas ça ! Mais j'ai adoré tout le monde dans le film. Moi, je me trouve correcte, mais sans plus. » Toujours humble, même après des décennies de métier, c'est souvent le défaut des grands.

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C'est le coeur qui meurt en dernier prendra l'affiche le 14 avril

PHOTO IVANOH DEMERS, LA PRESSE

Denise Filiatrault

Cinq rôles marquants de Denise Filiatrault

LA MORT D'UN BÛCHERON

Gilles Carle (1973)

Déjà immensément populaire grâce, notamment, à la comédie télévisée Moi et l'autre, Denise Filiatrault impose sa nature d'actrice dramatique chez Gilles Carle. Son inoubliable personnage de Blanche Bellefeuille, très coloré, marque les esprits.

IL ÉTAIT UNE FOIS DANS L'EST

André Brassard (1974)

En évoquant l'univers de Michel Tremblay dans son premier long métrage à titre de réalisateur, André Brassard donne à Denise Filiatrault un rôle dans lequel l'actrice peut à la fois mettre en valeur son bagout naturel, mais aussi le côté faussement glamour d'une vedette de cabaret. C'est splendide.

LES BEAUX DIMANCHES

Richard Martin (1974)

Cette adaptation de la pièce de Marcel Dubé a permis à Denise Filiatrault de livrer une performance saisissante. En se glissant dans la peau d'une femme désabusée qui se réfugie dans l'alcool, qui mesure aussi son pouvoir de séduction dans une triste scène de strip-tease, l'actrice est au sommet de son art.

JE SUIS LOIN DE TOI MIGNONNE

Claude Fournier (1976)

Cette comédie sentimentale ne s'est pas vraiment distinguée au moment de sa sortie, mais l'histoire retiendra quand même qu'il s'agit du premier long métrage dans lequel sont réunies Dominique Michel et Denise Filiatrault. Les deux complices de Moi et l'autre incarnent ici deux soeurs qui, au cours des années 40, travaillent dans une usine de munitions en rêvant de mariage...

LES PLOUFFE 

Gilles Carle (1981)

Au cinéma, Denise Filiatrault a eu la lourde tâche de reprendre le rôle de Cécile Plouffe, créé à la télé près de 30 ans plus tôt par Denise Pelletier. S'éloignant de ses rôles flamboyants habituels, l'actrice prête cette fois ses traits à cette « vieille fille » secrètement amoureuse d'un chauffeur d'autobus déjà marié. Elle s'y révèle impeccable, bien sûr.

- MARC-ANDRÉ LUSSIER, La Presse