Tout en collaborant, pendant trois ans, à la préparation de la rétrospective consacrée à son père, Edmund Alleyn, et présentée au Musée d'art contemporain de Montréal jusqu'au 25 septembre, Jennifer Alleyn gardait un oeil sur le cinéma. Cet automne, elle poursuivra le tournage de son premier long métrage de fiction, Impetus, une comédie dramatique à haute saveur documentaire.

Depuis 2012 et son essai cinématographique A Few Lost Words, Jennifer Alleyn s'est faite discrète. Pourtant, elle n'a cessé de travailler sur des projets qui sont tous arrivés à maturité cette année: en quatre ans, elle a écrit deux longs métrages, aidé à la réalisation de l'exposition Edmund Alleyn. Dans mon atelier, je suis plusieurs au MAC et créé deux oeuvres d'art exposées le printemps dernier en Suisse.

À la rentrée, elle poursuivra la réalisation de son premier long métrage de fiction, intitulé Impetus. Il raconte l'histoire d'un Montréalais âgé de 40 ans, Rodolphe Garibaldi, qui perd son emploi et sa blonde et qui, pour se changer les idées, s'en va garder le lézard d'un écrivain à New York! 

«Le titre du film vient du fait que l'impetus est la force d'impulsion qui fait passer un corps de l'inertie au mouvement, dit Jennifer Alleyn en entrevue. Quand on lance un ballon, il poursuit sa trajectoire grâce à l'impetus. Puis, la force de gravité reprend le dessus et le ballon tombe par terre. Le film analyse ce moment d'impetus, avant que le héros n'ait le désir de se mettre en mouvement. Il parle de ce qui nous fait agir, créer et bouger.» 

Fiction et documentaire tissés serré

L'idée d'Impetus lui est venue d'un segment d'un documentaire qu'elle tourne depuis trois ans et qu'elle va incorporer dans sa fiction. Ce segment s'intéresse à deux musiciens qui la fascinent, John Reissner, un guitariste montréalais d'origine allemande, et la pianiste russe Esfir Dyachkov. Rodolphe Garibaldi va ainsi découvrir à New York une caméra qui contient ces images documentaires. Elles vont l'intriguer comme un écho de sa crise existentielle. 

«Le film sera un jeu entre le vrai et la fiction, dit Jennifer Alleyn. Mais au final, on ne verra pas de différence. On aura l'impression que tout est une fiction.»

«Je trouvais intéressant de partir d'une discussion avec quelqu'un sur le thème de ce qu'est une vie réussie et d'avoir un personnage qui en découvre d'autres qui, finalement, sont en train de lui parler de lui. C'est donc un récit enchâssé, qui fait courir des intrigues secondaires.»

Pour le rôle principal de la partie fiction, Jennifer Alleyn a pensé à faire appel au comédien Emmanuel Schwartz, qui a joué dans En attendant Godot au Théâtre du Nouveau Monde, l'an dernier, mais aussi dans une dizaine de films, dont Laurence Anyways, de Xavier Dolan. 

«On a fait le démo avec lui, alors j'espère qu'il sera disponible, dit-elle. Pascale Bussières fera partie de la distribution et je rêve d'avoir Charlotte Le Bon! Le film est en cours de fabrication. Il y a plusieurs blocs de tournage. Je vais entrer en préproduction cet automne pour la partie fiction qui sera tournée cet hiver.»

Petit budget

Très musical et humoristique, le film n'a pas un gros budget (250 000 $). Il est coproduit par Jennifer Alleyn et Julie Groleau, la cofondatrice de la société de production Couronne nord. Jennifer Alleyn aime travailler avec une équipe réduite et faire des expériences cinématographiques. Elle dit d'ailleurs entrer dans une phase de réflexion quant à son avenir derrière la caméra. 

«Le cinéma est actuellement en mutation, pour ne pas dire dans une sorte de chaos, dit-elle. Les écrans disparaissent, les lieux de diffusion tombent, on l'a vu avec Excentris. Ça fait beaucoup de bouleversements. En tant que cinéaste, on se demande qui va aller voir nos films et doit-on les diffuser sur le web? Si les gens les regardent sur leur téléphone, on va peut-être devoir les tourner différemment...» 

Ouverte à tous les défis, Jennifer Alleyn se sent comblée. L'exposition consacrée à son père connaît un succès retentissant. Sa participation, au printemps dernier en Suisse, à une exposition d'arts visuels a confirmé son attrait pour la vidéo d'art. Et Impetus lui apporte le plaisir de l'expérimentation et du travail en petit comité avec une grande liberté. 

«Avoir l'oeil vissé derrière la caméra dans ces conditions, quel bonheur! dit-elle. Et puis, cette année, c'est l'aboutissement de plusieurs projets que j'ai créés dans l'ombre et la solitude et qui voient enfin le jour! Finalement, la contrainte est mère de l'invention...»

Photo Clémence Mailly, fournie par Jennifer Alleyn

Plateau de tournage du premier bloc d’Impetus, en décembre 2014, dans le quartier Griffintown. On reconnaît, à droite, l’acteur Emmanuel Schwartz.