Pour la sortie du film Chasse-galerie, la légende de Jean-Philippe Duval, nous avons demandé au conteur et chanteur Michel Faubert, passionné par les contes et les légendes depuis plus de 20 ans, de nous expliquer les origines de la chasse-galerie, une légende qui, paraît-il, persiste particulièrement au Québec, d'où cette adaptation au cinéma.

Un soir du jour de l'An. Des hommes isolés dans le bois. Un pacte avec le diable pour pouvoir aller danser avec les filles. Et voler en canot au-dessus des forêts, en évitant les clochers des églises...

La légende de la chasse-galerie telle que nous la connaissons a quelque chose de très sympathique et de profondément québécois. «C'est LA légende que les gens sont capables de nommer», dit Michel Faubert, confirmant son imprégnation dans l'imaginaire collectif.

On a tendance à l'oublier, mais avant les livres, le Québec se nourrissait de fictions par la tradition orale, où le fantastique et le merveilleux dominaient joyeusement. On considère L'influence d'un livre de Philippe Aubert de Gaspé (fils), paru en 1837, comme le premier roman officiel de la littérature canadienne-française, et c'était un roman d'aventures, inspiré par les histoires du folklore, où de nombreux écrivains sont allés puiser leur inspiration.

Pour la chasse-galerie, c'est plus compliqué. Ses origines mystérieuses remontent à bien plus loin que chez nous. «Les racines sont extrêmement anciennes», explique Faubert, citant même une théorie faisant référence à la configuration du ciel au jour de l'An, le soir où se déroule généralement la chasse-galerie. «Il y a une chasse céleste dans les constellations entre Orion et son chien Sirus, qui court après les filles du soir, les Pléiades. C'est une chasse vers le désir, une chasse sexuelle.» Ce qui, paraît-il, est très fort dans notre folklore. 

«Il y a souvent dans nos versions à nous l'idée du pacte avec le diable pour assouvir un désir.»

Les versions sont aussi nombreuses, et plus anciennes, en Europe. «On parle souvent du Poitou, en France, parce que le nom du personnage est "Gallery", mais il y a des versions scandinaves, allemandes... Le rêve de pouvoir voler est aussi vieux que l'humanité. Et on vole sur toutes sortes d'objets. Il y a des versions franco-américaines où on vole avec un autobus! Mais au Québec, nous avons la seule version de cette histoire où l'on parle de canot, qui nous identifie sur notre terre d'Amérique et qui rappelle notre rencontre avec les Amérindiens.»

Honoré Beaugrand

Selon Michel Faubert et d'autres spécialistes, la légende de la chasse-galerie demeure célèbre plus particulièrement au Québec, alors qu'ailleurs, elle a été oubliée. Et nous devons cela à Honoré Beaugrand, qui en a écrit la variante la plus connue (sinon définitive), publiée d'abord dans le journal La Patrie avant de donner son nom à son recueil de légendes publié en 1900.

«Ce n'est pas un conte, mais une légende, insiste Michel Faubert. La différence, c'est qu'un conte, on n'y croit pas, mais avec la légende, on est dans le flou des possibles. On dit des choses comme "moi, j'ai pas vu ça de mes yeux, mais les vieux m'ont raconté..." Une légende, c'est une vision doublée d'une émotion forte. Souvent, elle ne tient qu'en quelques phrases et c'est là qu'on peut voir la mise en scène d'Honoré Beaugrand, dont la trame a fait plus de chemin que les autres versions. La lumière, les gens qui allument leur pipe, le bon tabac canadien, le désir de placer l'histoire dans un décor patrimonial qui n'existait pas dans la légende... De quelques phrases, il a fait plusieurs pages et aujourd'hui, voyez-vous, on en fait un film de 90 minutes!»

«Je pense que la chasse-galerie est la grande légende identitaire du Québec, celle par laquelle on se reconnaît, conclut Michel Faubert. Je ne suis pas surpris qu'on en fasse un film. Sans faire de mauvais jeu de mots: c'était écrit dans le ciel!»

Survol... en canot d'écorce

Le livre

C'est le journaliste, fondateur du journal La Patrie et maire de Montréal de 1885 à 1887 qui a écrit la version la plus connue de la légende de la chasse-galerie. Elle a été traduite en anglais dans le Century Magazine de New York en 1892 et elle donne son nom à son recueil de légendes publié en 1900. Nous avons en notre possession la chic édition originale (dédicacée par l'auteur!), agrémentée des illustrations des artistes Henri Julien, Henry Sandham et Raoul Barré.

L'influence

La légende a fait des petits, rappelle Michel Faubert. Étonnamment, la chanson traditionnelle en ferait peu mention, mais elle a inspiré plus tard Claude Dubois dans sa superbe chanson (Chasse-galerie) et Michel Rivard qui a écrit pour La Bottine souriante Martin de la chasse-galerie. En 1996, un court film d'animation de Robert Doucet à l'ONF lui est consacré et en 2001, une capsule des Sombres légendes de la terre à TV5 l'illustre aussi. Enfin, n'oublions pas que La Maudite, célèbre bière québécoise, affiche clairement une chasse-galerie sur sa bouteille.

Le diable

Compte tenu de l'importance de la religion catholique au Québec, le diable (ou Satan ou Belzébuth) est l'un des grands personnages de notre folklore. Dans le film de Jean-Philippe Duval, il est joué par François Papineau. Il est habillé avec soin, porte un chapeau haut de forme et il a un accent. Le diable est souvent représenté ainsi dans nos contes. C'est un étranger qui débarque parfois pour séduire les filles, un chapeau cache ses cornes, ses habits rappellent la richesse ou le style vestimentaire de la ville, ce lieu de perdition! «Au Québec, le diable, c'est le tueur à gages du bon Dieu, un sous-traitant pour faire le sale boulot, note Michel Faubert. Ça prend une personne très rusée, comme le curé, pour déjouer ses plans.»

Les règles

Dans la version d'Honoré Beaugrand, Baptiste explique les règles à suivre pour une chasse-galerie qui ne se termine pas par la damnation des âmes. «Il s'agit tout simplement de ne pas prononcer le nom du bon Dieu pendant le trajet et de ne pas s'accrocher aux croix des clochers en voyageant. C'est facile à faire et pour éviter tout danger, il faut penser à ce qu'on dit, avoir l'oeil où l'on va et ne pas prendre de boisson en route.» C'est bien ça le problème, au jour de l'An, car l'alcool dans un canot, comme au volant aujourd'hui, c'est dangereux...