Dans les bureaux de Charlie Hebdo, bien calé dans son fauteuil, Bernard Maris regarde la caméra et répond aux questions que lui lance en vrac Richard Brouillette.

Nous sommes le 8 mars 2000, le cinéaste québécois tourne L'encerclement, un documentaire qu'il mettra 12 ans à terminer. Maris est un des personnages interviewés dans le film aux côtés, entre autres, de Noam Chomsky, Ignacio Ramonet, Omar Aktouf et Normand Baillargeon.

Quatorze ans plus tard, Maris tombera sous les balles des terroristes avec sept de ses collègues - dont Charb, Cabu et Wolinski - dans les locaux de la rue Nicolas-Appert, à Paris.

C'est pour lui rendre hommage - et pour garder vivante sa parole - que Brouillette ressort l'intégrale (moins huit minutes) de l'entrevue qu'il a réalisée avec Maris il y a 15 ans, et qui a été présentée pour la première fois en novembre dernier aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal.

Au total, 80 minutes durant lesquelles l'économiste, formidable vulgarisateur, s'adresse à la caméra, s'interrompt pour dire à ses collègues de baisser le ton, demande au réalisateur si «ça va», attend le changement de bobine (le film est tourné en 16 mm). Le spectateur a vraiment l'impression d'être dans la pièce avec l'équipe de tournage.

«Ce film est une conséquence directe des attentats de Charlie Hebdo. Je n'aurais pas ressorti cette entrevue sans cela. C'est vraiment un film hommage.»

Peu connu au Québec, Bernard Maris était très présent dans les médias français. En plus de signer une chronique dans Charlie Hebdo (dont il était actionnaire), il collaborait à plusieurs publications, dont Le Monde, Le Nouvel Observateur, Marianne... en plus de tenir une chronique sur France Inter. Ami de Michel Houellebecq, il a publié un livre dans lequel il analyse l'oeuvre de l'écrivain sous l'angle économique.

«Les vues de Bernard Maris sur l'économie étaient vraiment hétéroclites, ce ne sont pas des propos qu'on entendait tous les jours, affirme Richard Brouillette. Son oeuvre de vulgarisation était salutaire parce que facilement accessible et faite avec beaucoup d'humour, ce qui aidait à faire passer l'amertume de la science économique.»

«Moi, j'apprenais quelque chose toutes les semaines en le lisant dans Charlie Hebdo, poursuit le cinéaste. Il ajoutait beaucoup de profondeur à ses textes. Il ne parlait pas juste d'économie; il faisait référence à la philosophie, à l'étymologie, à la psychanalyse...»

Un discours différent

Si Bernard Maris était un économiste hors du commun, on peut dire que Richard Brouillette est, lui aussi, quelqu'un d'atypique dans le paysage cinématographique québécois. Son propos, très à gauche, détonne, tout comme sa façon de travailler. Il prend son temps.

«Je suis chanceux: je n'ai jamais eu de problèmes à financer et à présenter mes films et ils ont connu du succès», affirme Brouillette, qui est également producteur (il a entre autres produit Les dames en bleu, l'excellent documentaire de Claude Demers sur le chanteur Michel Louvain).

«L'encerclement a eu une grosse carrière internationale et Oncle Bernard reçoit un bel accueil en France, où il a pris l'affiche au début décembre. Ça ne veut pas dire que ça va continuer comme ça, mais pour l'instant, ça va bien.»

Cela dit, malgré la reconnaissance internationale et les nombreux prix remportés dans plusieurs festivals, L'encerclement n'a jamais été présenté à la télévision québécoise.

«Mes films ne correspondent pas à la télé d'aujourd'hui, reconnaît Brouillette. J'ai toujours été convaincu que les gens intelligents souhaitent entendre du contenu avec plus de profondeur. Mon pari, en tournant L'encerclement, c'est qu'il y a quand même pas mal de gens qui lisent Le Monde diplomatique et qui seraient intéressés par ce genre de films. Alors pourquoi ne ferais-je pas un film pour ces gens-là? Et j'ai gagné mon pari. Il y a un public friand de ce genre de propos.»

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Oncle Bernard - L'anti-leçon d'économie sera présenté à la Cinémathèque québécoise du 7 au 17 janvier.

Richard Brouillette en cinq dates

1989: Critique de cinéma à l'hebdomadaire Voir.

1993: Fondation du centre d'artistes autogéré La Casa Obscura.

1996: Prix M. Joan Chalmers du meilleur documentaire canadien pour le film Trop c'est assez.

2008: Sortie du film L'encerclement - La démocratie dans les rets du néolibéralisme.

2009: Producteur des Dames en bleu, du réalisateur Claude Demers.

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Bernard Maris