Sauf peut-être pour Pascale Bussières, Eldorado présentait de jeunes comédiens pour la plupart inconnus du public et qui, 20 ans plus tard, font toujours partie de notre paysage télévisuel ou cinématographique. La preuve que Binamé avait l'oeil pour les talents prometteurs... Ils partagent aujourd'hui leurs souvenirs de tournage et de jeunesse.

PASCALE BUSSIÈRES (RITA)

«C'est un moment important de ma vie. Je sortais de la série Blanche, une grosse production comme il ne s'en fait plus. Eldorado était un projet léger et dépouillé, on prenait une grande liberté et il y avait un côté très attirant dans cette proposition de pouvoir improviser et d'être dans un contexte sans filet. Pour tout le monde, c'était un exercice périlleux et nous étions tous inquiets. Mais, mon Dieu, que dire, on était vraiment "dedans". J'en garde un souvenir très vivant, collégial, l'impression de partir en tournée ou en voyage. C'est difficile aujourd'hui pour les cinéastes de tenter des choses libres comme ça, même à petit budget. Je ne suis pas gênée du tout de ce film, j'ai été étonnée du résultat, et du buzz quand c'est sorti. On a touché à quelque chose de très juste, je pense, au moment où ça se tournait. Je me souviens que des amis français m'ont dit que c'est pour ce film qu'ils s'étaient installés à Montréal. Je pense qu'Eldorado a marqué, pas tant pour ce que disaient les personnages, mais pour ce que ça représentait, comme génération, un peu dans un entre-deux, qui n'était plus portée par un idéal national, laissée à elle-même.»

JAMES HYNDMAN (LLOYD)

«C'est un moment vraiment phare dans ma vie, pour plein de raisons. L'aboutissement d'un rêve, quand on est jeune et qu'on veut devenir acteur et faire du cinéma. De se retrouver dans un projet comme ça, en groupe, avec tous des rôles principaux, c'était un gros thrill, je me pinçais sur le plateau. C'est l'aventure la plus excitante que j'ai eue au cinéma. J'étais malade de trouille, je n'en dormais pas la nuit, j'avais demandé l'aide de Jean-Frédéric Messier pour les improvisations à la radio. Quand on fait de l'impro, on sait que dans le lot, une ou deux prises sont vraiment tripantes, trois ou quatre sont correctes et beaucoup sont ratées. Les mots sortaient de nous et n'étaient pas toujours pétants de poésie. D'ailleurs, un reproche que les gens ont fait, c'est qu'il y avait une certaine pauvreté de la parole, mais c'était compensé par une grande fébrilité. Nous avons investi énormément de nous-mêmes dans chacun des personnages, de l'énergie, des idées. Nous étions à nu. Des années plus tard, dans un festival, la comédienne belge Natacha Régnier m'a reconnu et elle m'a lancé: «"Eldorado!" Elle est venue me voir pour me dire qu'elle avait vu le film six fois! Il y a des films qui passent l'épreuve du temps, mais qui ne sont pas aussi vivants.»

Photo: Robert Skinner, archives La Presse

James Hyndman

PASCALE MONTPETIT (HENRIETTE)

«Je ne sais pas si j'aurais le culot de refaire ça aujourd'hui. À l'époque, c'était ma deuxième aventure de cinéma, je n'avais pas beaucoup de références, je sortais de la série Blanche avec Charles. C'était un projet léger, sans logistique, il volait des plans en téléobjectif, des fois ils faisaient des plans en rollerblade. Charles est arrivé avec des archétypes, mais c'était un peu notre responsabilité de contrôler nos personnages. J'étais morte de peur - j'avais déjà dit non deux fois à Robert Gravel pour la LNI! Mais j'étais tellement contente de faire du cinéma, je ne me pouvais plus. Et cette idée de tourner en plein air, le plaisir de faire ça était plus grand que la peur de se tromper. Il ne faut jamais dire non à un projet parce que tu as peur. J'étais la plus vieille de la distribution, on dirait que j'ai rajeuni le personnage, une espèce d'adulescente, une fille pas casée encore. On commençait à parler de ça, des jeunes adultes qui en veulent au système. J'avais le goût que ce soit drôle, un plaisir égoïste, mais tout cela était fabriqué, comme un faux documentaire. C'est beaucoup comment Charles nous voyait à cette époque.»

Imacom, René Marquis

Pascale Montpetit

ROBERT BROUILLETTE (MARC)

«Je sortais de l'école, j'avais fait une pub de Kellogg's et la série Blanche avec Charles Binamé. Il m'a proposé de jouer dans Eldorado et le concept était tellement flyé à l'époque, celui d'improviser des scènes en direct. C'était une expérience excitante, mais troublante et déstabilisante. Et parce qu'on improvisait nos scènes, nous recevons aujourd'hui des droits d'auteur, puisque nous avons créé le scénario en quelque sorte... Aux Foufounes électriques, on était vraiment avec la foule, je me suis ramassé dans les toilettes et un gars était en train de faire de la mescaline, c'était vraiment heavy! Des fois, ça donnait de bonnes choses, d'autres fois, c'était moins heureux, mais c'était ça, le concept. Et je dois avouer que j'avais eu beaucoup de misère à voir le film. Mais je reconnais la ville, l'ambiance, l'été, les terrasses, les bars. Pour moi, l'image est restée, comme si on avait estampillé quelque chose de cette époque.»

Photo: fournie par l'artiste

Robert Brouillette

MACHA LIMONCHIK (LOULOU)

«Pour moi, c'est une expérience particulière qui ne s'est jamais reproduite de cette façon-là. Un souvenir d'été. J'étais très jeune. Je ne me rappelle pas avoir été stressée, je pense que le stress, le trac, dans mon cas, est arrivé plus tard dans la vie. Comme je ne suis pas une fille de cinéma, je voyais ça un peu comme une salle de répétition, sans avoir conscience que ce serait vu un jour. C'était très joyeux et c'était le fun d'être dehors, en ville, de croiser les gens. Quand le film est sorti, j'étais à l'étranger, très loin des répercussions, mais c'est plus tard qu'on m'a dit, des fois, «Eldorado, c'est mon film préféré". Des jeunes qui vivaient en région et qui ont vu le film avaient décidé de venir à Montréal à cause d'Eldorado. L'image qu'ils avaient de Montréal était celle du film.»

Photo: Alain Roberge, archives La Presse

Macha Limonchik

ISABEL RICHER (ROXAN)

«C'était mon premier film. Au départ, mon rôle devait être joué par Céline Bonnier, mais elle avait d'autres engagements. C'était un projet excessivement vertigineux, avec l'improvisation. Nous avons fait un gros travail d'atelier, tout le monde ensemble, pendant plusieurs semaines. Nous étions allés à la campagne un week-end pour développer nos personnages et leurs avenues. On était dans le doute, je me souviens de conversations au téléphone où on était complètement en déséquilibre. Je me souviens aussi de scènes où avec des vrais gens, on avait tourné avec des itinérants. Ce sont des souvenirs précieux, même si ça me traumatisait de me voir pour la première fois sur grand écran. Je trouve que ça donnait un portrait assez juste d'une partie de cette génération-là, très urbaine, très "Plateau". Je serais curieuse de revoir le film pour ça.»

Photo: Simon Giroux, archives La Presse

Isabel Richer