Son cinéma n'a rien de flamboyant et ne comporte aucun effet spectaculaire. Pourtant, Stéphane Lafleur propose des films tellement riches qu'on y découvre toujours de nouvelles choses. Tu dors Nicole ne fait pas exception.

Stéphane Lafleur n'est pas un «réalisateur» au sens propre du terme. Même s'il cumule les prix depuis son premier long métrage (Continental, un film sans fusil), même si tous ses films ont été lancés dans de grands festivals de cinéma internationaux et que son talent est bien reconnu, le cinéaste estime qu'à vrai dire, il n'a pas beaucoup d'expérience à ce chapitre.

«Je ne suis pas un réalisateur de carrière, précisait-il au cours d'un entretien accordé à La Presse plus tôt cette semaine. C'est-à-dire que je ne réalise pas autre chose que mes propres films. Je ne suis pas animé d'un désir de tourner à tout prix non plus. J'aime monter les films des autres, écrire pour d'autres aussi. Et puis, j'ai la musique. J'ai tourné trois longs métrages en huit ans. Je ne tiens pas à aller plus vite que ça parce que je n'ai pas tant de choses à dire! Il me faut vivre un peu avant de me lancer dans l'écriture d'un film. Il est, à mon sens, plus difficile de créer dans l'urgence au cinéma qu'en musique. La machine est plus lourde.»

De nature modeste, parfois même peu confiant en ses moyens, Stéphane Lafleur compense possiblement son insécurité en élaborant ses scénarios de façon très précise. Tous ceux qui ont pu lire celui de Tu dors Nicole, son troisième long métrage (en salle vendredi), louent la qualité de l'écriture d'un film constitué pourtant de vignettes impressionnistes. La poésie du quotidien qu'on retrouve dans l'univers du cinéaste serait même déjà très perceptible sur papier. Comme dans une chanson d'Avec pas d'casque, le groupe folk dont il est le leader.

«Ma méthode est très broche à foin, explique-t-il. Elle va probablement même à l'encontre de tout ce qu'on enseigne dans les écoles de cinéma. Quand je commence l'écriture d'un film, je n'ai que le début et la fin en tête. Tout ce qu'il y a entre les deux reste à définir. Et je ne sais pas où l'exercice va me mener. Une chose est sûre: si je ne «vois» pas le plan au moment où je l'écris, je le supprime. Pour Tu dors Nicole, je disposais de quelques éléments au départ: l'été, des personnages au début de la vingtaine, un band de musiciens, une chicane entre les deux amies.»

Un été en banlieue

Campé à une époque non définie dans une banlieue jamais nommée, le récit de Tu dors Nicole décrit le quotidien d'une jeune femme de 22 ans, Nicole (Julianne Côté), pendant un été où l'avenir est encore incertain. Les parents sont partis en vacances au loin; le frère aîné (Marc-André Grondin) débarque «discrètement» avec son band; et Nicole entretient le rêve de partir en Islande en compagnie de sa meilleure amie Véronique (Catherine Saint-Laurent).

Comme toujours dans le cinéma de Lafleur, le film se révèle très riche d'observations délicieuses. Et distille subtilement un humour pince-sans-rire. Le noir et blanc confère à l'ensemble une touche poétique qui n'est pas sans rappeler les premiers films de Jim Jarmusch ou d'Aki Kaurismäki.

«La décision de tourner le film en noir et blanc est venue à mi-chemin de l'écriture, rappelle le cinéaste. L'idée a fait son chemin à partir des références photographiques que Sara Mishara, la directrice photo, avait apportées, parmi lesquelles un livre de photos noir et blanc de Robert Adams, prises pendant des nuits d'été. Je trouvais que ça correspondait bien à ce qu'on voulait faire. Je ne me considère pas comme un grand conteur, même si j'essaie de mieux soigner cet aspect de film en film. Mais l'histoire n'est pas la première chose qui m'appelle. Je me concentre davantage sur des observations, des moments que j'ai envie de créer à l'écran. Il y a un aspect très «collage et assemblage» dans mon écriture.»

Un film plus accessible

Stéphane Lafleur a en tout cas la ferme impression de proposer cette fois son film le plus fédérateur. Lancé au Festival de Cannes il y a trois mois, dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs, Tu dors Nicole entreprend vendredi sa carrière en salle au Québec. L'autre partie de la tournée internationale commencera au festival de Toronto en septembre.

«À la veille de la sortie québécoise, je suis un peu fébrile et excité, commente le cinéaste. J'ai envie que les gens aillent voir le film. Je sais que le noir et blanc va peut-être rebuter des gens - à tort parce qu'on l'oublie vite, il me semble -, mais je pense que c'est de loin mon film le plus accessible. D'autant qu'on y voit des personnages à un âge auquel on ne s'est pas beaucoup intéressé au cinéma, à mon sens. On traite beaucoup de l'adolescence et des premiers émois qui s'y rattachent, mais on saute ensuite souvent à des personnages dans la trentaine. Il y a comme un creux entre ces deux âges. Ça correspond à un vrai creux de l'existence aussi, je crois. À 20 ans, on n'est pas encore en pleine possession de ses moyens, on n'est pas indépendant de fortune non plus. C'est aussi un âge où on ne fait généralement pas ce qu'on souhaite.»

Stéphane Lafleur s'attelle maintenant à l'écriture de l'adaptation cinématographique du roman de Carle Coppens Baldam l'improbable. Emmanuel Hoss-Desmarais (Whitewash) en signera la réalisation.

________________________________________

Tu dors Nicole prend l'affiche le 22 août à Montréal, le 29 août ailleurs au Québec.