Alors que son quatrième long métrage prend enfin l'affiche, Xavier Dolan est déjà ailleurs depuis longtemps. Le quart de siècle d'existence ayant été atteint cette semaine, celui que la presse française qualifie de «jeune prodige» fait aujourd'hui le point.

Il y a un peu plus de six mois, Xavier Dolan était accueilli à titre de star du cinéma international à la Mostra de Venise. La présentation de Tom à la ferme, sélectionné dans la compétition officielle, avait suscité un vif intérêt. Cette adaptation cinématographique de la pièce de Michel Marc Bouchard, qui prend enfin l'affiche au Québec vendredi, a d'ailleurs été gratifiée là-bas du prix de la critique internationale.

Depuis, l'artiste n'a pas chômé. Il a en outre tourné The Elephant Song. Dans ce film anglophone réalisé par Charles Binamé (Maurice Richard), Dolan incarne un jeune patient d'un hôpital psychiatrique dans les années 60. Auparavant, Daniel Grou (Podz) avait aussi sollicité les talents d'acteur du jeune homme à la faveur de Miraculum (toujours à l'affiche).

Puis, Xavier Dolan s'est lancé dans la réalisation de Mommy, son cinquième long métrage. Il en est actuellement à l'étape du montage et de la postproduction. Ces deux dernières semaines, il a toutefois dû tout arrêter.

«Les cinq dernières années ont été très tumultueuses, raconte-t-il. Je travaille beaucoup. Quand mes proches se faisaient du souci pour moi, j'avais l'impression qu'ils avaient du mal à comprendre qu'il m'était difficile de ralentir. Si je m'arrête, cela implique que tous ceux qui travaillent avec moi doivent s'arrêter aussi.»

Prendre une pause

Il y a deux semaines, une série d'événements lui ont fait réaliser qu'il était maintenant temps pour lui de prendre soin un peu de sa propre personne.

«J'ai tout laissé tomber, dit-il. J'ai fait des trucs que je n'avais jamais le temps de faire. J'habite un appartement sans rideaux depuis quatre ans! J'ai réglé ça. Et puis, j'ai eu 25 ans cette semaine...»

Évidemment, la réflexion ne se résume pas à une simple séance de magasinage. Après Mommy, qu'il espère terminer à temps pour le soumettre au comité de sélection du Festival de Cannes, celui qui enchaînait frénétiquement les projets compte maintenant aller voir un temps ailleurs s'il y est. Il voudrait en outre s'inscrire à l'université pour suivre des cours d'histoire de l'art.

«J'ai une belle vie, reconnaît-il. Mais il reste qu'entre 20 et 25 ans, je n'ai quand même pas vécu la vie d'un jeune homme de mon âge. C'est une vie un peu folle, qui n'est pas faite de choses plus naturelles et simples, de bonheurs quotidiens ou d'amitiés sincères. J'aimerais m'approcher davantage de ces choses-là entre 25 et 30 ans. Voilà où j'en suis: à ce que ma vie ne se résume pas qu'à ma carrière.»

Un thriller psychologique

Sur le plan du style, Tom à la ferme se démarque de J'ai tué ma mère, Les amours imaginaires et Laurence Anyways. Inspiré de la pièce de Michel Marc Bouchard, qui a coécrit le scénario avec le cinéaste, ce film anxiogène relate l'histoire d'un homme, Tom (Xavier Dolan), qui se rend dans sa belle-famille à la campagne après la mort de son amant.

Sur place, il découvre que son amoureux s'était inventé une autre réalité, plus «conventionnelle», afin de ne pas éveiller les soupçons de sa famille, particulièrement ceux de sa mère (remarquable Lise Roy). La présence de Francis (Pierre-Yves Cardinal), frère du défunt, homophobe et violent, forcera Tom à se vautrer dans le mensonge.

Le quatrième personnage à intervenir dans cette histoire est Sarah (Évelyne Brochu), une amie de Tom qui, à la demande de ce dernier, vient jouer la blonde du défunt inventée par Francis.

Un important travail de réécriture a dû être fait en compagnie du dramaturge afin que le film emprunte un véritable souffle cinématographique. «Ce qui était seulement suggéré dans la pièce devait être vu au cinéma», fait remarquer Xavier Dolan.

Outre le fait de s'attaquer pour la première fois à un film de genre, le thriller psychologique, le réalisateur a voulu cette fois se mettre au service de l'histoire, sans faire de digressions.

«Tom est tellement marqué par la mort de son amant qu'il ne ressent même pas la violence qu'on lui inflige, fait remarquer celui qui tient aussi le rôle principal du film. À vrai dire, on a affaire ici à une psychose. On plonge dans les névroses de deux êtres qui essaient ensemble de combler un vide.»

Même si plusieurs observateurs estiment que Tom à la ferme est son meilleur film, Xavier Dolan rappelle qu'il pose toujours lui-même un regard très critique sur son travail.

«Techniquement, peut-être, reconnaît-il. C'est normal. Je prends de l'expérience. Il serait bien malvenu de refaire les mêmes erreurs que dans les trois premiers! Mais, à mes yeux, la qualité d'un film se mesure d'abord à son courage, à son ambition, à sa générosité. Et en ce sens, Laurence Anyways demeure un film plus généreux, plus volumineux, plus romantique, plus fou, plus libre. C'était plus «moi». Cela dit, chaque histoire commande la mise en scène. Même la signature d'un cinéaste comme Scorsese ne peut pas s'imposer de la même façon dans chaque projet. C'est ce vers quoi je souhaiterais me diriger. Présentement, je dirais que Mommy est mon meilleur film!», dit-il en riant.

Trois tatouages ornent l'avant-bras de Xavier Dolan. D'abord, il y a la ferme de Tom. Puis, le symbole du troisième sexe, lequel rappelle Laurence Anyways. Enfin, tout près du poignet, une fleur de lys inscrite dans un carré, histoire de ne jamais perdre de vue les revendications du printemps érable, dans lequel il s'était beaucoup impliqué.

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Tom à la ferme prend l'affiche le 28 mars.