Le réalisateur Mathieu Denis ne se fait pas d'illusions. Dans l'histoire du Front de libération du Québec (FLQ) - et encore plus dans celle du Québec contemporain -, l'histoire de Jean Corbo, mort à 16 ans en essayant de poser une bombe à la Dominion Textile, demeurera une note en bas de page. Pas pour lui.

Car à travers la courte vie de cet adolescent tranquille devenu militant s'exprime, du moins en partie, l'essence d'un engagement militant teinté de certitudes qu'on ne voit plus de nos jours.

C'est pourquoi le cinéaste a décidé de revisiter ce pan de notre histoire en racontant celle de Jean Corbo, mort le 14 juillet 1966. Peu après avoir adhéré au FLQ, Corbo a posé une bombe à la DomTex de Saint-Henri, où les travailleurs étaient en grève depuis cinq mois.

«Mon père m'avait parlé de cette histoire et je me suis toujours demandé ce qui pouvait conduire de jeunes militants à faire une telle chose. Je n'ai jamais pensé à faire un tel geste et je ne verrais pas les jeunes d'aujourd'hui le faire non plus, dit le réalisateur de 36 ans. Or, en faisant mes recherches, j'ai été frappé de voir à quel point les felquistes étaient convaincus qu'ils allaient changer le monde. Ils avaient vu comment les gestes extrêmes commis à Cuba, en Algérie, en Uruguay, au Viêtnam avaient mené à des renversements.»

Le réalisateur et les trois principaux comédiens du film ont rencontré les médias hier matin sur le plateau de tournage installé dans une rue tranquille de Pointe-Saint-Charles. La scène captée se passait dans un casse-croûte nommé Chez Ménard où Jean Corbo (Anthony Therrien) rencontre ses amis Julie (Karelle Tremblay) et François (Antoine L'Écuyer), deux jeunes militants qui l'ont recruté.

Le décor traduit bien le Québec des années 60 avec ses cendriers carrés en verre, son horloge Molson Export, son crucifix (!) derrière le comptoir et ses menus avec des prix qui nous semblent dérisoires. Mais les affiches, où l'anglais prédomine, évoquent aussi le contexte explosif du temps.

Ce contexte explosif, on l'aura compris, était entre autres linguistique. Par ses origines québécoise (mère) et italienne (père), Jean Corbo s'est retrouvé au coeur de la tempête. Ce que rappelle Anthony Therrien, qui tient ici son premier grand rôle.



«Jean Corbo était très troublé et se cherchait une identité, dit le jeune comédien. Les francophones le raillaient parce qu'il était Italien et les Italiens le raillaient parce qu'il était à moitié Québécois. Il a choisi d'être Québécois. Et en matière de politique, il voulait que les choses bougent.»

Happés par l'époque

Comme ses collègues Antoine L'Écuyer et Karelle Tremblay, Anthony Therrien connaissait bien peu de choses de l'histoire du FLQ en décrochant le rôle. Mais tous les trois ont été happés par l'époque et s'y intéressent autant que Mathieu Denis.

Le réalisateur a éprouvé certaines difficultés à documenter l'histoire racontée. «J'ai dû gratter longtemps pour rassembler des renseignements, dit Mathieu Denis. Ça m'a permis de constater que la devise Je me souviens est une vue de l'esprit. Même les notes de certains procès de felquistes, qui se trouvaient au palais de justice, ont été détruites, comme c'est la norme, après 30 ans.»

Mathieu Denis aurait aimé rencontrer la famille immédiate de Jean Corbo, mais celle-ci est demeurée en retrait du projet. «J'ai parlé à plusieurs reprises avec une de ses cousines, nuance le cinéaste, et j'ai aussi pu m'entretenir avec trois ex-felquistes, soit Serge Demers, Réal Mathieu et Gérard Laquerre.»

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Produit par Max Films, Corbo sortira en 2014.

Photo: Olivier Jean, La Presse

Le réalisateur Mathieu Denis donne quelques instructions sur le plateau de tournage, installé dans une rue tranquille de Pointe-Saint-Charles.