«Le film, c'est une randonnée en voiture avec les frères Coen et Tarantino qui ramassent David Lynch sur le pouce pour se rendre chez Canuel. Et là, le party part.»

Venant d'un autre, on pourrait être effleuré par l'idée qu'il y a un peu trop de moi-moi-moi là-dedans. Mais venant du réalisateur Érik Canuel, monstre d'énergie et boulimique de plateaux de tournage, ça passe.

De toute façon, autour de lui, les comédiens de sa dernière oeuvre, Lac Mystère, évoquent les mêmes noms et assurent que la signature Canuel est bien présente dans cet opus qui navigue entre drame, thriller et humour déjanté.

Scénarisé par Diane Cailhier d'après le roman Mirror Lake d'Andrée A. Michaud, le film nous entraîne sur les traces d'Éric (Maxim Gaudette), qui, dégoûté par la trahison de ses proches, tente d'effacer son identité.

Devenu Fred, il se terre dans un chalet au bord d'un lac à cheval sur le Québec et les États-Unis. Son désir de solitude est vite anéanti par la présence de Phil (Laurent Lucas), un voisin collant, Kate (Laurence Leboeuf), la danseuse dont il s'éprend, et John (Benoit Gouin), policier aveuglé par son amour pour Kate. Tous sont liés par la recherche d'un noyé introuvable et la présence incertaine d'un dangereux criminel.

On trouvera des personnages fortement à la recherche d'une identité dans cette histoire. «On a un gars qui brûle ses vêtements et même ses cartes, relate Canuel. Il se trouve confronté à qui? À quelqu'un qui peut être autant le meilleur ami du monde que le psychopathe de service. Il tombe amoureux de qui? Avec une fille qui se déguise pour faire ses shows. Et cette fille est aimée par un policier qui se prend pour un shérif...»

De là à conclure que chaque personnage cultive une double personnalité, il n'y a qu'un pas que Canuel franchit. «Sommes-nous véritablement qui nous prétendons être ou jouons-nous tous la comédie?», s'interroge-t-il.

Que l'histoire soit campée à la frontière entre le Québec et un État américain illustre cette ambivalence démultipliée. Le personnage de Phil en est la preuve. «Phil navigue toujours entre deux eaux, dit Canuel. Et c'est ce que nous sommes comme êtres humains. On navigue entre deux eaux, essayant tant bien que mal de se rendre au rivage.»

Signature Canuel

Interprète de Phil, Laurent Lucas adore ce personnage riche et texturé. «Il est décalé et ne vit pas dans la même réalité que tout le monde, dit le comédien. Moi, je les aime, les Philippe comme celui-ci. Ce sont des gens qui nous forcent à ouvrir la porte, à nous dévoiler.»

Benoit Gouin aime tout autant son policier macho et violent qui est à des années-lumière de l'enquêteur Jean-Denis Desrosiers qu'il incarnait dans la série Apparences. «John est un pauvre type qui veut un peu de pouvoir, qui veut contrôler quelque chose. Il n'a aucune intelligence du coeur.»

Tout comme Lucas et Gouin, Laurence Leboeuf a rapidement reconnu la signature Canuel tant dans le souffle de l'histoire qu'à travers les personnages. «Malgré toute sa lourdeur, j'aime l'énergie de Kate, dit-elle. Elle a une grande candeur par rapport à la vie. Elle s'attache à de petits détails qui forgent sa force intérieure. Et puis, on reconnaît l'univers d'Érik Canuel là où il y a un mélange de plusieurs genres sans que l'on se prenne au sérieux.»

Au-delà de la question identitaire, la comédienne s'est intéressée à l'histoire d'amitié qui se tisse entre Kate, Phil et Fred. D'ailleurs, ces liens feront en sorte que la mission que s'était donnée Éric (Fred) prendra une tangente différente. «Éric voulait changer d'identité et le fait en commençant par l'extérieur, en brûlant ses vêtements, etc. Mais en fin de compte, c'est en raison de la présence des autres que cette transformation va se faire», observe Maxim Gaudette.

> Lac Mystère prend l'affiche le 23 août.

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La nature, personnage central du film

C'est toujours, au cinéma, un élément fascinant lorsqu'il est bien inséré dans une histoire. Et c'est le cas ici. La nature est un personnage à part entière dans Lac Mystère.

Colorés, texturés, denses, filmés de matin, de nuit, de soir comme en plein jour, l'eau, la forêt et les rives sont autant de témoins silencieux et mystérieux du drame qui se déploie. Plusieurs cadrages du directeur photo Bernard Couture saisissent avec acuité l'affrontement latent entre les personnages.

«Le lac est un personnage et la nature l'est tout autant, souligne le réalisateur Érik Canuel. Dans le film, la nature incorpore le passage du temps. On le remarque avec le changement des couleurs qui symbolise la métamorphose des trois personnages principaux. Quant au lac, il transpose assez bien le mystère et l'inquiétude que la vie peut créer. Alors que la vie, c'est aussi simple que de se lancer à l'eau.»

Par un curieux hasard, Benoit Gouin a joué récemment dans des films où la nature est très présente, comme Jaloux de Patrick Demers et, il y a quelques mois, Premier amour de Guillaume Sylvestre. Ce sera aussi le cas dans Les loups de Sophie Deraspe qui sortira l'an prochain.

Tout à fait conscient de cette réalité, Benoit Gouin s'en réjouit. «C'est sûr que j'aime tourner en extérieur, dit-il en souriant. Surtout lorsqu'on incarne des personnages un peu tordus. C'est comme si la nature reflétait leur inconscient.»

PHOTO FOURNIE PAR FILMS SÉVILLE

Laurence Leboeuf

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Benoit Gouin: une année sans théâtre

Vous avez le sentiment de voir Benoit Gouin souvent au cinéma? Vous avez raison! Et cet automne, il sera plutôt à la télévision. Là où le comédien ne sera pas, ce sera sur les planches.

«Depuis ma sortie du Conservatoire d'art dramatique de Québec, en 1986, j'ai joué dans au moins une pièce par année. En 2013, pour la toute première fois, je n'en ai pas fait. J'ai eu des offres qui demandaient trop d'énergie. Et j'ai senti le besoin de prendre du recul.»

Cette année, M. Gouin est très présent au cinéma. En plus du rôle du policier John Paquette qu'il interprète dans Lac Mystère, on l'a vu coup sur coup dans Sarah préfère la course de Chloé Robichaud et Premier amour de Guillaume Sylvestre.

Il est aussi de la distribution du film Gabrielle de Louise Archambault qui a été présenté il y a quelques jours, avec succès, en première mondiale au festival de Locarno. Le film sera sur les écrans québécois en septembre.

Cela dit, la présence automnale et hivernale de Benoit Gouin se fera au petit écran. On le verra dans la suite de la série DestinéesLeGentleman 3 (déjà diffusé en avant-première sur Illico) et la minisérie La marraine que la chaîne Séries+ devrait diffuser durant l'hiver. M. Gouin participe également au tournage des séries Nouvelle adresse de Richard Blaimert (SRC) et Les jeunes loups de Réjean Tremblay (TVA), qui seront diffusées ultérieurement.

Parlant de loups, c'est le titre (Les loups) du nouveau film de Sophie Deraspe dans lequel M. Gouin incarne un pêcheur. Tourné le printemps dernier aux Îles de la Madeleine, ce film mettant en vedette Évelyne Brochu sortira en 2014.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Benoit Gouin