Il est quand même assez difficile de ne pas relever l'ironie de la chose. Au moment où certains poussent les hauts cris devant l'apparente désaffection du public québécois envers son cinéma national, voilà que le jury qui choisit les finalistes accouche de l'un des palmarès les plus «pointus» de l'histoire des Jutra. Avait-il seulement le choix? Pas vraiment.

Il est indéniable que l'équilibre entre les productions à vocation plus commerciale et le cinéma de création, sur lequel repose la bonne santé du cinéma québécois depuis plusieurs années, a été rompu en 2012. Parmi les 32 longs métrages de fiction éligibles, la qualité s'est essentiellement rangée du côté des oeuvres plus personnelles, c'est indéniable. D'où la forte présence aux Jutra de films comme Rebelle, Camion, Laurence Anyways et Roméo Onze.

On peut évidemment s'étonner (ou se réjouir, c'est selon) de l'absence totale au tableau d'honneur d'Omertà, la production la plus populaire de l'année (et lauréate du Jutra billet d'or), mais la congestion de bons films plus discrets a aussi fait des victimes du côté des auteurs. Même si la seule nomination qu'obtient Tout ce que tu possèdes est dans une catégorie prestigieuse (meilleure direction photo - Sara Mishara), il reste qu'on attendait quand même davantage pour le remarquable film de Bernard Émond. On se demande aussi comment Évelyne Brochu, dont le jeu constitue l'un des atouts majeurs d'Inch'Allah, a pu être écartée de la course. Non, il n'y a pas de système parfait.

On retient aussi que le cinéma de fiction tient toujours le haut du pavé dans ce genre d'exercice. Il suffit pourtant de jeter aussi un coup d'oeil dans les catégories plus spécialisées pour se rendre compte du dynamisme du cinéma d'ici dans le domaine du court métrage et du documentaire. Choisir entre Alphée des étoiles, Bestiaire, Ma vie réelle, Mort subite d'un homme-théâtre, et Over My Dead Body? Vraiment, bonne chance!

Visiblement, l'organisation Québec Cinéma, née de la fusion il y a deux ans de la Grande nuit du cinéma et des Rendez-vous du cinéma québécois, tient à célébrer les 15 années d'existence des Jutra en repartant sur de nouvelles bases. Amélioration du système de sélection (28 membres issus des différentes associations professionnelles pour établir les nominations), mise sur pied de nouveaux projets, etc. «Nous commençons maintenant à voir le résultat de notre travail, a dit hier le producteur Pierre Even, président de l'organisation. Et nous tenons à ce que la réflexion se poursuive de façon permanente, que tout soit solide.»

Des évidences

L'association des propriétaires de salles de cinéma, dont le président n'est nul autre que le très coloré Vincent Guzzo, a par ailleurs réintégré le giron des Jutra après quelques années d'absence. Aucun de ses représentants ne siégeait toutefois au comité de sélection. Les résultats auraient-ils été si différents? Il est permis d'en douter. Le comité doit en effet évaluer les qualités artistiques des longs métrages qu'on leur soumet. Des évidences ressortent.

Cela dit, le récent débat sur l'absence de productions susceptibles de séduire le grand public, cristallisé par les sorties intempestives du président de l'APCQ, met aussi en exergue la portée de cette soirée de gala sur le plan des cotes d'écoute. Malgré l'excellence de l'animation du tandem Sylvie Moreau et Yves Pelletier l'an dernier, et la présence de productions à succès comme Starbuck et Monsieur Lazhar dans la course, le gala a attiré 570 000 téléspectateurs à peine. Cette année, on mise en outre sur la notoriété de l'animateur Rémy Girard, de même que sur celle de Michel Côté, lauréat du Jutra-Hommage, pour attirer l'attention. Or, chez le concurrent, le 17 mars à la même heure, il y aura un petit truc qu'on appelle La Voix. Manque de pot, c'est ce soir-là que cette émission sera diffusée en direct pour la première fois, et que le public aura enfin l'occasion de s'exprimer. Équipe Ariane ou Équipe Rebelle? Le choix est à vous.

Dans la réflexion de l'organisation et du diffuseur des Jutra, il y aurait peut-être lieu de songer à imiter les Césars, qui célèbrent désormais un vendredi soir les meilleurs artisans du cinéma français. À moins de vouloir transformer ce dimanche de mars en Massacre à la tronçonneuse...